Astronomie pour les myopes

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Mesurer la Terre - Chapitre 7

Portrait de Magellan

Nous voilà déjà au début du XVIe siècle, époque riche de grandes découvertes qui verra l'accomplissement du premier voyage autour du monde, entrepris en 1519 par le navigateur portugais Fernand de Magellan. Ce dernier mourra en cours de route, sur la petite île de Mactan (Philippines), après avoir reçu une flêche empoisonnée lors d'une bataille contre des indigènes qui eurent l'audace de ne pas se soumettre à son autorité. Le capitaine Juan Sebastian Elcano prendra alors la tête de l'expédition et rentrera à Séville en 1522 avec les survivants, après avoir effectué le premier tour du monde (ce qui, soit dit en passant, ne prouve par la sphéricité de la Terre : le même voyage aurait été possible sur un monde plat).



Plus modestement, le français Jean Fernel (1497-1558) tente, en l'an de grâce 1528, de déterminer la longueur du méridien de Paris. Médecin du roi Henri II et astronome à ses heures, il va pour cela s'inspirer directement de la méthode d'Eratosthène. Partant de Paris, il se dirige vers le nord et marche quatre jours durant, jusqu'à ce que ses instruments de mesure lui indiquent qu'il a gagné un degré de latitude (il se base sur la hauteur du Soleil à midi, qu'il mesure à l'aide d'un quadrant), ce qui l'amène aux environs de Breteuil. Il détermine alors la distance parcourue non pas avec un chameau, espèce plutôt rare dans cette région, mais à l'aide d'un carrosse muni d'un compte-tours qui va comptabiliser le nombre de tours de roue effectués pendant le trajet (un peu plus de 17 000) : il trouve que le degré de méridien vaut 56 746 toises. Cette ancienne unité de mesure, appelée "Toise de Paris" (ou "Toise du Châtelet"), valant 1,959 mètres (elle sera légérement modifiée en 1668, par décision de Colbert), cela représente une distance d'environ 111 km (56 746 x 1,959 / 1000). Si l'on extrapole ce résultat à la circonférence (polaire) de la Terre, on trouve pratiquement 40 000 km (360 x 111 km), ce qui confirme au passage la valeur obtenue par Eratosthène.

L'idée est ingénieuse, mais elle présente un gros défaut : elle implique que la distance à vol d'oiseau séparant les points de départ et d'arrivée soit connue avec une grande précision. Les déplacements ne se faisant généralement pas en ligne droite, il faut donc être en mesure d'estimer l'allongement de parcours engendré par les changements de directions, ainsi que par les montées et les descentes, ce qui est loin d'être évident. C'est pour pallier la faiblesse inhérente à ce procédé qu'une méthode totalement nouvelle va bientôt voir le jour. Son nom ? La triangulation...



Des triangles, des triangles, encore des triangles !

C'est au nord de la Hollande, à Dockum pour être exact, que vit Jemme Reinerszoon, plus connu sous le nom de Gemma Frisius (1508-1555). Cartographe et mathématicien, ce dernier se distingue dans de nombreux domaines : diplômé de médecine, il se passionne également pour la cosmographie et, alors qu'il est encore étudiant, il crée à Louvain un atelier de fabrication d'instruments de navigation. Et en quoi cela nous concerne-t-il ? Eh bien nous lui devons un traité essentiel, le Libellus De Locorum Describendorum Ratione (excusez du peu), dans lequel il expose le principe de la triangulation, jetant ainsi les bases de la géodésie (ou "division de la Terre").
 Partant du principe qu'il est plus facile de mesurer des angles que des distances, l'idée consiste à couvrir l'arc de méridien dont on veut connaître la longueur d'une chaîne de triangles, choisis de telle sorte que leurs sommets successifs soient visibles de proche en proche.

Gemma Frisius Réseau de triangulation



Ce sont généralement des clochers ou des tours de châteaux qui matérialisent les sommets de ces triangles, points de repères incontournables dans un pays où le relief est peu marqué, voire inexistant.
Cela n'a l'air de rien, mais pour effectuer une triangulation il faut avoir l'esprit carré (et ne pas être rond). Il faut bien entendu être capable de déterminer la direction du méridien triangulé, mais également de mesurer avec une grande précision la différence de latitude (généralement de un degré) entre le point de départ et le point d'arrivée (A et I sur le schéma ci-contre). Une fois le réseau de triangles mis en place, il n'y a "plus qu'à" mesurer la longueur de l'un des côtés du triangle de départ - on appelle cela la base - pour déterminer toutes les autres longueurs à partir de simples mesures d'angles, les formules de trigonométrie faisant le reste. La mesure de cette base doit donc être effectuée avec la plus grande exactitude possible, la moindre erreur ayant des répercussions sur toutes les autres mesures, puisqu'elles en dépendent.



C'est la raison pour laquelle on fait généralement en sorte que la base soit la plus longue possible, sur un terrain peu accidenté, voire plat, sa mesure étant faite à l'aide de perches dont les dimensions sont parfaitement connues, mises bout à bout sur toute la longueur de la base.

Mesure de la base à l'aide de perches
Mesure de la base d'un réseau de triangulation à l'aide de perches

Il faut ensuite mesurer les angles de chacun de ces triangles à l'aide de quarts-de-cercle mobiles, instruments appartenant à la famille des quadrants. Une fois cette opération effectuée, on peut déterminer par le calcul les longueurs des côtés de tous les triangles du réseau de triangulation. Il suffit alors de "projeter" ces longueurs sur le tronçon de méridien étudié et de les additionner pour connaître la longueur de l'arc AJ.

Gemma Frisius étant infirme (il est paraplégique), ce n'est pas à lui que reviendra le mérite de mettre en pratique son invention. L'un des tout premiers à faire usage de cette technique est le cartographe néerlandais Jacob van Deventer (1500-1575), qui élabore en 1536 une carte du Brabant (province des Pays-Bas).
Presque un siècle plus tard, le mathématicien et physicien Néerlandais Willebrord Snell Willebrord Snell

En plus de ses travaux en géodésie, on doit à Willebrord Snell d'avoir établi, avant René Descartes, des lois de la réfraction de la lumière (vers 1620), que l'on appelle aujourd'hui "lois de Snell-Descartes".
(1580-1626) tente, en 1615, de déterminer la longueur de l'arc de méridien séparant les villes d'Alkmaar et de Bergen-op-Zoom, à l'aide d'un réseau de 33 triangles : il aboutit à la conclusion qu'un degré de méridien vaut 55 100 toises, soit un peu plus de 107 km. En 1635, c'est au tour de l'anglais Richard Norwood de se lancer dans cette aventure : réalisant une triangulation entre York et Londres, il estime que le degré de méridien vaut 57 300 toises. Il sera suivi par l'astronome italien Giovanni Riccioli, qui trouvera une valeur bien différente : 62 900 toises. Bref, la méthode a beau être au point sur le papier, la précision n'est pas encore au rendez-vous. C'est finalement un français, l'astronome et abbé Jean Picard (1620-1682), qui va mettre tout le monde d'accord.

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