Astronomie pour les myopes

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Mesurer la Terre - Chapitre 6

Terre plate : le Moyen Âge n'y croyait pas

S'il est un lieu commun largement véhiculé par nos médias, c'est bien celui d'un Moyen Âge où les gens vivent dans la crasse et se nourrissent de racines, maintenus dans l'ignorance par une Eglise toute puissante et tyrannique leur imposant la vision d'un monde plat comme une galette. Afin de savoir ce qu'il en est réellement, examinons le point de vue de quelques érudits ayant vécu pendant cette prétendue "ère de ténèbres" (en gros, de l'Antiquité tardive à la Rennaissance).

Portrait de Richard II
Le roi Richard II d'Angleterre.
Il tient dans sa main droite un globe crucifère,
image du globe terrestre et symbole de la
domination temporelle du Christ sur le monde.
Abbaye de Westminster, vers 1390. Auteur inconnu.

A la fin du IVe siècle, un certain Calcidius, philosophe néoplatonicien, traduit en latin une partie du Timée de Platon. Dans son Commentaire du Timée, qui connaîtra quelque deux cent copies, il fait le point sur les connaissances astronomiques de l'époque, exposant les travaux d'Eudoxe de Cnide, d'Hipparque et d'Héraclide. Au paragraphe 59, il rappelle que la Terre est sphérique et qu'elle se trouve au centre de l'Univers.

Saint Augustin (354-420), célèbre évêque d'Hippone (c'est en Algérie), ne remet nullement en cause la sphéricité de la Terre, mais il estime toutefois que le peuplement des antipodes est impossible car : "[...] quand on montrerait que la Terre est ronde, il ne s'ensuivrait pas que la partie qui nous est opposée ne fût point couverte d'eau. D'ailleurs, ne le serait-elle pas,[...] il y a trop d’absurdité à dire que les hommes aient traversé une si vaste étendue de mer pour aller peupler cette autre partie du monde" (La Cité de Dieu, livre XVI, chapitre IX).

Macrobe (370-440), écrivain et philosophe latin dont on ne sait d'ailleurs pratiquement rien, souligne dans son Commentaire du songe de Scipion que la Terre est une sphère (livre I, chapitre XV) : "[...] la sphéricité de la terre s'opposant à ce que tous ses habitants aient le même zénith, il s'ensuit qu'ils ne peuvent avoir le même méridien". Il pense que les antipodes sont habités, mais qu'ils sont inaccessibles : "[...] nous ne savons et ne pourrons jamais savoir quelle est cette espèce d'hommes, parce que la zone torride est un intermédiaire qui empêche que nous puissions communiquer avec eux" (Commentaire sur le Songe de Scipion, Livre II, chapitre V). La "zone torride" à laquelle il fait ici allusion n'est autre que l'équateur, une croyance répandue à l'époque voulant que ce dernier soit impossible à franchir en raison de la chaleur infernale qui y règne.

Martianus Capella (seconde moitié du IVe siècle) est un écrivain latin d'origine africaine. Dans le livre VI de son oeuvre Les noces de Philologie et de Mercure écrite vers l'an 420, il évoque la sphéricité de la Terre : "Elle (la Terre) n'est pas plate, elle est ronde". Dans le livre VIII, consacré à l'astronomie, il rend hommage à Eratosthène, Hipparque et Ptolémée, et expose la conception du monde d'Héraclide du Pont.

Dans ses Etymologies, l'évêque Isidore de Séville (560-636), compare la Terre à une balle.

Pour Bède le Vénérable (672-735), moine anglo-saxon considéré comme le premier historien d'Angleterre, il ne fait aucun doute que la Terre est ronde. Dans son De temporum ratione, il écrit que "Nous appelons la Terre un globe, non pas comme si la forme d'une sphère était exprimée dans la diversité des plaines et des montagnes, mais parce que, si toutes choses sont incluses dans le tracé, la circonférence de la Terre représentera la figure d'un globe parfait.[...]"

De Sphaera - Sacrobosco

Le savant Gerbert d'Aurillac (946-1003), qui deviendra pape sous le nom de Sylvestre II, introduit les chiffres "indo-arabes" en Europe. Dans le chapitre XCIII de sa Géométrie, il évoque les travaux d'Eratosthène.

L'image du monde

Jean de Halifax, dit Sacrobosco, mathématicien et astronome anglais du XIIIe siècle, s'établit en 1220 à Paris, où il enseigne le quadrivium (arithmétique, musique, géométrie et astronomie) à la Sorbonne. Nous lui devons nombre d'ouvrages scientifiques, le plus connu étant son Traité de la Sphère (De sphaera) qui, en raison du succès qu'il rencontrera dans les universités médiévales, sera le premier livre d'astronomie à être imprimé à Ferrare, en 1472. Divisé en quatre chapitres, il constitue une sorte d'abrégé de l'Almageste de Ptolémée. Traitant du mouvement des planètes dans un cadre géocentrique, son premier chapitre est consacré à la forme de la Terre, considérée une fois encore... comme une sphère.

Gossuin (Gauthier) de Metz, poète du XIIIe siècle originaire de Metz, décrit une terre sphérique dans un poème intitulé L'image du monde (il n'est toutefois pas certain qu'il en soit l'auteur).



Selon Jean Buridan (1300-1358), philosophe français surtout connu pour son histoire d'âne indécis qui meurt de fin et de soif, la terre et l'eau forment deux sphères de centres distincts, la terre n'émergeant que sur une petite partie du monde.

Dans son Livre des merveilles du Monde écrit en 1356, Jean de Mandeville évoque la possibilité de faire le tour du globe en naviguant : "[...]je dis avec certitude qu'un homme pourrait faire le tour de toute la terre du monde, aussi bien par dessus que par dessous, et revenir en son pays [...] et il trouverait toujours des hommes, des terres, des îles comme en nos pays."

Nicolas Oresme (1320-1382), évêque de Lisieux, va jusqu'à suggérer dans deux ouvrages, le Traité de la sphère et le Traité du ciel et du monde, qu'il est possible que la Terre tourne sur elle-même, expliquant ainsi de façon élégante le déplacement apparent des astres sur la voûte céleste, de leur lever à leur coucher. Il reconnait toutefois qu'aucun argument ne permet de trancher en faveur de l'immobilité de la Terre ou de son mouvement.

Bien entendu, la théorie de la Terre plate est défendue par quelques auteurs, mais ces derniers restent largement minoritaires. Parmi ceux-ci, l'écrivain latin Lactance (vers 265-345) juge incongrue l'idée selon laquelle des hommes pourraient vivre la tête en bas, ou que la pluie et la grêle puissent tomber vers le haut.
Deux siècles plus tard, Cosmas Indicopleustès, Grec syrien établi à Alexandrie, affirme dans sa Topographie chrétienne que l'Univers a la forme d'un tabernacle, à l'image de celui décrit dans l'Ancien Testament. La Terre y est considérée comme étant plate et entourée de murailles derrière lesquelles se couche le Soleil. Cosmas restera toutefois ignoré de l'occident médiéval, la première traduction latine de son oeuvre ne datant que de 1705.

Lactance aux antipodes

Certes, il n'y a pas eu de progrès significatifs en astronomie au cours de cette période, mais le Moyen Âge n'a pas cru que la Terre était plate, en tout cas les lettrés n'y ont pas cru. Quant aux gens du peuple, ils avaient sans doute d'autres chats à fouetter que de s'interroger sur la forme du monde dans lequel ils vivaient. N'en est-il d'ailleurs pas de même aujourd'hui, quand des études montrent que près du tiers des européens pensent que le Soleil tourne autour de la Terre, et ce alors que nous disposons de moyens d'information (de désinformation ?) infiniment plus performants que ceux de nos ancêtres ?

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