Remontons le temps de quelques années et rendons-nous en Mésopotamie, vaste région située dans
le Croissant fertile, entre les bassins du Tigre et de l'Euphrate, incluant l'Irak et une partie de la Syrie
actuels. Peuplée depuis plusieurs millénaires, elle fut notamment le foyer des civilisations sumérienne,
akkadienne et babylonienne, à qui nous devons nombre d'inventions telles que l’écriture, la roue, le tour
de potier, l’araire (ancêtre de la charrue) et le système sexagésimal, à l'origine de la division du cercle
en 360° et de nos heures en 60 minutes.
En 1875, quelque part au milieu des ruines de ce qui fut l'antique cité de Ninive, à l'endroit même
où était érigée la bibliothèque du roi
AssurbanipalSixième souverain de la dernière dynastie Assyrienne,
Assourbanipal règne de 669 à 631 av J.-C., période durant laquelle l'Assyrie connaît
une forte croissance. Très cultivé, il est décrit comme l'un des rares monarques de son temps à savoir
lire et écrire. Ses contemporains lui doivent d'ailleurs la création, à Ninive, d'une bibliothèque
contenant entre 25000 et 30000 tablettes d'argile, parmi lesquelles figurent des versions de l'épopée
de Gilgamesh. A la fin de son règne toutefois, l'Assyrie connait un net déclin et se voit menacée par
les Babyloniens et les Mèdes.
Les grecs, qui le connaissent sous le nom de Sardanapale, en font le symbole du luxe et de la débauche.
On raconte alors que, pour ne pas tomber aux mains de l'ennemi, Sardanapale préféra mettre fin à ses jours dans
un immense bûcher, entraînant avec lui ses concubines et ses eunuques, scène immortalisée par le peintre Eugène
Delacroix dans sa célèbre Mort de Sardanapale, exposée au musée du Louvre.,
sept tablettes d'argile sont retrouvées quasiment
intactes parmi les décombres. L'Enuma Elish, puisque tel est le nom donné au récit figurant sur
ces tablettes, fut probablement composé à la fin du XIIè siècle av J.-C.. Pouvant être traduit par
"Lorsque là-haut", en raison des premiers mots qui le composent, ce long texte relate la gloire
du dieu Mardouk et l'Epopée de la Création du monde. Il nous raconte comment Mardouk parvint, après
un combat titanesque, à vaincre la déesse Tiamat, qu'il ''fendit en deux, comme un poisson à
sécher''. De ses membres inférieurs, il façonna la Terre, tandis que de son torse il construisit
l'arche du ciel, où il plaça les astres.
L'Enuma Elish s'appuie sur la vision traditionnelle du cosmos babylonien : la Terre est une sorte de disque entouré d'une vaste étendue d'eau supportant la voûte céleste, à laquelle sont suspendus le Soleil, la Lune et les étoiles, le tout baignant dans l'Océan primordial, responsable de la couleur bleue du ciel. Evidemment, tout cela soulève quelques questions, en particulier celle du chemin emprunté par le Soleil au cours de la nuit : disparaît-il par une ouverture pratiquée à l'ouest dans la voûte céleste, pour réapparaître dès le matin par une porte située à l'est, ou plonge-t-il dans l'Apsu, abîme d'eau douce qui soutient le disque terrestre, passant ainsi sous ce dernier ? Mystère...
A l'autre extrémité du Croissant fertile, se dresse fièrement Héliopolis, métropole
religieuse située dans le delta du Nil. S'il faut en croire la cosmogonie héliopolitaine, au
commencement, il n'y avait qu'un immense océan primitif, Noun, où régnaient l'obscurité, l'immobilité
et le silence. C'est pourtant au coeur de cette vaste étendue d'eau qu'allait se manifester Atoum,
dieu solaire créateur de toute chose.
Ce dernier engendra plusieurs dieux : Shou et Tefnout, puis Geb et sa soeur Nout qui, à leur tour, donneront naissance à Osiris, Seth, Horus, Isis et Nephthys. Un matin, Atoum sépara Geb de Nout, qu'il éleva dans les hauteurs, créant ainsi le monde tel qu'on le conçoit dans l'Egypte antique : la Terre est assimilée à Geb, disque plat et allongé flottant sur les eaux primordiales, au-dessus duquel se tient la déesse Nout, dos courbé, dont le corps couvert d'étoiles forme la voûte céleste. Seuls ses pieds et ses mains prennent appuis sur le sol tandis que ses membres, correspondant aux quatre points cardinaux, font office de piliers.
Chez les Hébreux, la Terre, centrée sur la ville de Jérusalem, est également
considérée comme plate, parfois de forme carrée, telle une pièce d'étoffe suspendue par les coins. Nous
sommes en terrain connu, puisque l'Ancien Testament décrit lui aussi un monde divisé en trois parties.
Les cieux, au-dessus desquels se trouve le trône de Dieu, dominent la Terre, demeure des hommes, des
plantes et des animaux. Tout en bas réside le monde souterrain, ou Shéol, lieu de silence et de ténèbres
où sont accueillies les âmes des défunts dans l'attente de la résurrection.
Lorsqu’il créa le firmament, Dieu prit soin de séparer les ''eaux d'en haut'' de celles ''d'en bas'', afin d'assècher la Terre et de la rendre habitable. A l'instar du cosmos babylonien, les eaux d'en haut sont maintenues en place par la voûte céleste, solide, dont les écluses furent toutefois ouvertes à l'occasion du Déluge. La Terre est généralement considérée comme un disque entouré d'une mer très étendue au-delà de laquelle, au bord de l'horizon le plus lointain, des montagnes ou des piliers soutiennent le monde. Dans le Livre de Job, le cosmos, à l'image du Tabernacle, est comparé à une vaste tente, où le sol figure la Terre et la tente tient lieu de firmament, conception qui sera reprise au VIè siècle de notre ère par un Grec de Syrie répondant au nom de Cosmas Indicopleustès. Nous y reviendrons en temps voulu...
Faisons un petit saut en Inde, au Vè siècle av J.-C..
Dans la religion hindoue, le monde est alors considéré comme un disque plat, au centre duquel s'élève une
gigantesque montagne dont la cîme touche le ciel. Il tient en équilibre sur le dos de quatre éléphants,
placés chacun à l'un des points cardinaux et juchés sur le dos d'une tortue géante, qui repose elle-même
sur un serpent encore plus grand, lové sur lui-même et suspendu dans le vide sidéral.
Dans les années 80, l'écrivain britanique Terry Pratchett s'est inspiré de ce modèle pour créer un monde
imaginaire, le Disque-Monde, qu’il met en scène dans une longue série de romans où il décrit une Terre plate
et circulaire soutenue par quatre éléphants, debout sur la carapace criblée de cratères d'impacts
de la grande A’Tuin, tortue gigantesque qui erre sans but dans l’espace.
Laissons maintenant de côté tortues et éléphants, et rendons-nous en Asie Mineure, sur la côte
sud-ouest de l'actuelle Turquie, où réside le célèbre Thalès de Milet (624 - 547 av J.-C.),
dont le nom est généralement associé (à tort) à un théorème sur les triangles, connu de tout collégien ayant
appris ses leçons. A la fois philosophe, ingénieur et mathématicien, il est souvent considéré comme l'un des
premiers physiciens dignes de ce nom, préférant asseoir ses connaissances sur l'observation de la nature et
les démonstrations plutôt que sur les explications à caractère mythologique.
Fidèle à l’image du savant perdu dans ses pensées, il est l’objet d’une anecdote légendaire relatée
par Platon dans le Théétète : ''[...] Il observait les astres et, comme il avait les yeux au ciel,
il tomba dans un puits. Une servante de Thrace, fine et spirituelle, le railla, dit-on, en disant
qu’il s’évertuait à savoir ce qui se passait dans le ciel, et qu’il ne prenait pas garde à ce qui
était devant lui et à ses pieds.''
Du temps de Thalès, on ignore bien entendu l'existence des atomes et des molécules, dont la réalité ne sera démontrée qu'au tout début du XXè siècle. C'est donc dans l'eau, élément omniprésent dans notre environnement, que ce dernier voit le principe de toute chose : le monde est, selon lui, un disque rond flottant sur un immense océan, la Terre n'étant que de l'eau condensée, et l'air de l'eau raréfiée.
Ce modèle est certes rudimentaire, mais il permet d'expliquer l'origine des tremblements de
terre : ceux-ci ne sont pas dus aux caprices du dieu Poséidon, comme on le pense alors, mais à une
cause physique, en l'occurence les tempêtes qui agitent parfois l'eau de cet océan. Cependant, cette
interprétation rationnelle des faits souffre des mêmes carences que celle basée sur les mythes. D'une
part, nous ignorons tout de la nature du socle supportant cette énorme masse d'eau, et il n'est plus
question ici de faire intervenir éléphants, tortues géantes ou autres créatures fantastiques, d'autre
part, le mystère plane toujours sur le devenir des astres après leur coucher : empruntent-ils le
fleuve Océan pour ensuite réapparaître à l'est, ou bien sont-ils chaque jour remplacés par de
nouveaux astres ?
Anaximandre
Né à Milet vers 610 av J.-C., Anaximandre est
un disciple de Thalès. Contrairement à ce dernier, il considère que le principe de toute chose est
une substance indéterminée, invisible et illimitée, l'apeiron.
Selon lui, une sorte de tourbillon permit aux contraires
(chaud et froid, sec et humide...) de se séparer , donnant ainsi naissance à l'Univers tel que nous
le connaissons. On pense qu'Anaximandre est le premier à avoir conçu un modèle mécanique de
l'Univers, imaginant que des sphères de cristal entraînent les astres dans leur mouvement, tandis que
la Terre, de forme cylindrique, se tient immobile au centre de l'Univers.
On lui attribue également la découverte de l'obliquité de l'écliptique, autrement dit l'inclinaison
de l'axe de rotation de la Terre (il ignore toutefois que cette dernière tourne sur elle-même), ainsi
que la publication de la première carte du monde, dont Hécatée de Milet s'est par
la suite inspiré pour réaliser sa propre carte.
(~ 610 - 546 av J.-C.), disciple et successeur de Thalès à l'école de philosophie de Milet, pense
détenir la clé de cette énigme : la Terre serait en réalité un énorme cylindre flottant dans l'espace,
sous lequel passent les astres avant de réapparaître à l'est, de l’autre côté.
Il y a cependant un hic : si la Terre n'est plus soutenue par quoi que ce soit, elle devrait logiquement tomber. Anaximandre répond en affirmant que celle-ci étant au centre du monde elle reste sagement immobile, car elle n'a dans ces conditions aucune raison de tomber d'un côté plutôt que de l'autre : "Et la Terre est suspendue, soutenue par rien, mais stable à cause de son égal éloignement de tout".
Son disciple
Anaximène
Disciple et successeur d'Anaximandre, le philosophe Anaximène affirme
que l'air est le principe de toute chose : comprimé, il donne l'eau et la Terre, tandis que dilaté
il se transforme en feu.,
visiblement peu convaincu par cet argument, reprend
la thèse du disque entouré d'eau en précisant que le tout doit être monté sur un coussin d'air,
histoire sans doute de nous assurer un minimum de confort.
Se basant sur les travaux d'Anaximandre, l'historien et géographe grec Hécatée de MiletEcrivain ionien né vers 550 av J.-C., Hécatée de Milet est l'un des premiers géographes grecs. Il effectue de nombreux voyages, notamment en Asie, en Egypte, autour de la Méditerranée et de la mer Noire. Les connaissances accumulées au cours de ces nombreuses pérégrinations lui permettent d'élaborer l'une des premières cartes du monde, tel qu'on le conçoit à son époque. (~ 550 - 480 av J.-C.), grand voyageur devant l'Eternel, aurait élaboré une carte relativement précise (pour l'époque) du pourtour méditerranéen. Hérodote fait amplement référence à cette dernière dans ses écrits, avant tout pour s'en moquer : ''Je ris de voir tant de gens nous donner des cartes du monde qui ne contiennent jamais la moindre explication raisonnable ; on nous montre le fleuve Océan qui enserre une Terre parfaitement ronde, comme faite au tour, et l’on donne les mêmes dimensions à l’Asie et à l’Afrique.''
Toujours est-il que s'il faut en croire les reconstitutions tardives (XIXè siècle) de cette carte, le monde décrit par Hécatée devait faire, approximativement, dans les huit mille kilomètres de diamètre. Naturellement, les savants de l'époque, à force d'observations et de réflexion, n'allaient pas tarder à remettre en cause cette vision d'une Terre plate, pour la remplacer finalement par un tout autre modèle. C'est ce que nous allons découvrir sans plus attendre...
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