En 1875, quelque part au milieu des ruines de ce qui fut l'antique cité
de
NiniveCapitale de L'Assyrie située sur la rive orientale du Tigre, en
face de l'actuelle Mossoul, Ninive est considérée comme l'une des plus anciennes
cités de Mésopotamie, son site étant habité dès le VIe millénaire av J.-C..
Il en est fait mention dans la Genèse, où sa création est attribuée à Nemrod, arrière petit fils
du patriarche Noé. Subissant les assauts des Mèdes et des Babyloniens, elle est définitivement
détruite en août 612 av J.-C., marquant ainsi la fin de l'empire assyrien.,
à l'endroit même où était érigée la bibliothèque du roi
AssurbanipalSixième souverain de la dernière dynastie Assyrienne,
Assourbanipal règne de 669 à 631 av J.-C., période durant laquelle l'Assyrie connaît
une forte croissance. Très cultivé, il est décrit comme l'un des rares monarques de son temps à savoir
lire et écrire. Ses contemporains lui doivent d'ailleurs la création, à Ninive, d'une bibliothèque
contenant entre 25000 et 30000 tablettes d'argile, parmi lesquelles figurent des versions de l'épopée
de Gilgamesh. A la fin de son règne toutefois, l'Assyrie connait un net déclin et se voit menacée par
les Babyloniens et les Mèdes.
Les grecs, qui le connaissent sous le nom de Sardanapale, en font le symbole du luxe et de la débauche.
On raconte alors que, pour ne pas tomber aux mains de l'ennemi, Sardanapale préféra mettre fin à ses jours dans
un immense bûcher, entraînant avec lui ses concubines et ses eunuques, scène immortalisée par le peintre Eugène
Delacroix dans sa célèbre Mort de Sardanapale, exposée au musée du Louvre.,
sept tablettes d'argile sont retrouvées quasiment intactes parmi les décombres. L'Enuma Elish
(une traduction est accessible ici
!),
puisque tel est le nom donné au récit figurant sur ces tablettes, fut probablement composé à la fin
du XIIè siècle av J.-C. sous le règne de Nabuchodonosor 1er. Pouvant être traduit par
"Lorsque là-haut", en raison des premiers mots qui le composent, ce long texte relate la gloire
du dieu Mardouk et l'Epopée de la Création du monde. Il nous apprend qu'il y a fort longtemps,
dans l'Univers primordial, régnaient sans partage les dieux Apsu (personnification de l'eau
douce) et Tiamat (l'eau salée). De leurs ébats naquirent une multitude de dieux qui engendrèrent
à leur tour d'autres dieux, toujours plus nombreux, toujours plus bruyants...
Apsu avait besoin de calme pour faire sa sieste quotidienne, mais avec tout ce tintamarre,
cela devenait compliqué. Il fut donc amené à prendre une décision radicale : puisque cette bande de
trublions représentait une menace pour sa tranquilité, le plus sage était encore de s'en débarrasser !
La réaction du camp adverse ne se fit pas attendre : dès que le dieu Ea (Enki) eut vent des
intentions d'Apsu, il plongea ce dernier dans un profond sommeil et le tua sans
autre forme de procès, ce qui eut pour effet de mettre Tiamat, on peut la comprendre, dans tous ses
états. Déterminée à venger la mort de son époux, elle mit sur pied une armée de onze monstres tous
plus affreux les uns que les autres, et en confia le commandement à son fils Kingu.
De son côté, voyant la situation lui échapper, Ea engendra Mardouk, le plus grand dieu du panthéon
babylonien. Ce dernier parvint, après un combat titanesque, à vaincre Tiamat, qu'il ''fendit en deux,
comme un poisson à sécher''. De ses membres inférieurs, il façonna la Terre, tandis que de son torse
il construisit l'arche du ciel, où il plaça les astres. Enfin, Ea tua Kingu, et avec son sang créa
l'homme afin qu'il serve les dieux.
L'Enuma Elish s'appuie sur la vision traditionnelle du cosmos
babylonien : la Terre est une sorte de disque entouré d'eau, tandis que le Ciel est constitué
d'une voûte solide à laquelle sont suspendus le Soleil, la Lune et les étoiles, le tout baignant
dans un vaste Océan primordial.
Nous apprenons à propos de Mardouk qu'après son combat : "Il fit occuper leur place à Anu, Enlil
et Ea. Il y aménagea leur station, pour les grands dieux. Il y suscita en constellations les étoiles
qui sont leurs images. Il définit l'année, dont il traça le cadre. Et pour les douze mois, il
suscita à chacun trois étoiles"
Concernant ces ''trois étoiles'', le chercheur et essayiste Roland Laffitte nous rappelle que le texte se réfère ici à l'habitude de distinguer trois chemins célestes, relevée dans divers documents astronomiques à partir de la moitié du IIè millénaire avant notre ère, habitude totalement formalisée à l'époque où fut écrit l'Enuma Elish. Qui plus est, chacun de ces trois chemins se voit ici associé à un dieu particulier, en l'occurence Enlil, Anu et Ea.
Un document occupe une place de premier plan dans cette histoire : le Mul Apin, découvert
lui aussi dans les ruines de la bibliothèque d'Assurbanipal à Ninive.
Constitué d'une série de trois tablettes datées au plus tard de 627 av J.-C. (mais qui font elles-mêmes
référence à une version plus ancienne, remontant peut-être à l'an 1 370 av J.-C. s'il faut en croire
l'astrophysicien Bradley Schaefer), il nous fournit une liste de près de 70 astérismes et étoiles
avec leurs positions relatives, constituant ainsi l'une des plus anciennes cartes du ciel connues.
La nomenclature la plus complète est fournie par la tablette BM 86 378 du Mul Apin (visible
ci-dessous), qui nous donne une description du ciel semblant correspondre au XIè ou XIIè siècle
av J.-C..
Les noms des astérismes chaldéens sont très variés : on y trouve aussi bien des animaux (taureau, serpent, coq, chèvre, mulot...), que des objets (charrue, chariot, joug, balance...), ou des personnages (vieillard, grands jumeaux, pasteur fidèle d'Anu...). Nombre de ces appellations ont d'ailleurs été reprises par les grecs anciens, après avoir été modifiées de manière à s'intégrer à leur propre culture : c'est ainsi que le Vieil homme est devenu Persée, que le Pasteur a donné Orion, que le Joug et le Chariot se retrouvent respectivement dans le Bouvier et la Grande Ourse, etc... Vous trouverez ici ! la liste de ces astérismes.
Conformément à ce que nous venons d'évoquer, ces astérismes y sont classés en fonction du chemin
auquel ils appartiennent. Une bande large d'une quarantaine de degrés centrée sur
l'équateur céleste
L'équateur céleste est le grand cercle,
tracé sur la sphère céleste, qui correspond à
la projection de l'équateur terrestre sur cette dernière.
figure le chemin d'Anu, maître du firmament. Au nord de cette bande se trouve le chemin
d'Enlil, dieu de l'air et du vent, tandis que dans la région australe restante, marchent
les étoiles du chemin d'Ea, qui règne sur les eaux souterraines. Cet agencement fait par
ailleurs intervenir une donnée astronomique essentielle,
la latitude
La latitude d'un point (sur Terre) est une
coordonnée géographique qui correspond à la distance angulaire, exprimée en degrés, séparant ce point
de l'équateur. Par définition, la latitude de l'équateur est nulle, soit 0°. Celle du pôle Nord est
de +90°, tandis que celle du pôle Sud est de -90°, les latitudes étant considérées comme positives
dans l'hémisphère Nord et négatives dans l'hémisphère Sud.
du lieu d'observation, notion qui ne sera vraiment comprise que lorsqu'il sera enfin admis que nous
vivons à la surface d'une sphère et non d'un disque (les premiers arguments solides allant dans ce
sens ne seront apportés qu'au IVè siècle av J.-C., par un certain Aristote).
Un point essentiel réside dans le fait qu'en plus de répartir ces étoiles en trois groupes
selon leur appartenance aux chemins d'Enlil, d'Anu ou d'Ea, le Mul Apin fournit une liste d'étoiles
situées sur le ''chemin de la Lune'', baptisé ainsi par les Babyloniens
en l'honneur du redoutable dieu Sin.
Ceci constitue non seulement une nouveauté mais une révolution conceptuelle puisque le plan défini
par l'orbite de la Lune correspond, à cinq degrés près, à celui sur lequel le Soleil et les planètes
déploient leurs trajectoires, à savoir le plan de
l'écliptique
La Terre décrit, en tournant autour du Soleil, une ellipse. C'est le plan défini par cette
ellipse que nous appelons plan de l'écliptique, dénomination qui découle du fait que
la Lune doit traverser ce plan (en 2 points appelés "noeuds") pour que puissent se produire des
éclipses (de Lune ou de Soleil).
Vue de la Terre, l'écliptique correspond à la projection, sur la voûte céleste, de la trajectoire
annuelle du Soleil.
C'est sur l'écliptique que l'on trouve les constellations du zodiaque, délimitées
sur la voûte céleste par une "ceinture" large d'environ 16°. .
Cela mènera à la création du zodiaque, lors de la période achéménide
(autrement dit sous domination Perse), soit vers le VIè siècle avant J.-C..
Tout cela n'est bien entendu pas le fruit du hasard, mais est au contraire motivé par un argument
déjà évoqué : l'observation de la Lune et des planètes étant censée fournir la clé de l'interprétation
des caprices divins, il est par conséquent normal que les étoiles placées sur leur chemin acquièrent
un statut particulier.
La tablette BM 86 378 nous donne, en langue sumérienne, la liste de ces étoiles et astérismes,
préfiguration du futur zodiaque : Mul-mul, les Etoiles (les Pléïades) ; Gud An.na,
le Taureau du Ciel (une partie du Taureau actuel) ; Sib-Zi An.na, le Pasteur Fidèle d'Anu
(Orion) ; Shu-Gi, le Vieil Homme (Persée) ; Gam, le Bâton brisé (Cocher) ;
Mash-Tab-ba Gal-Gal.la, les Grands Jumeaux (Gémeaux) ; Al-Lul, le Crabe (Cancer) ;
Ur-Gu-La, la Lionne (Lion) ; Ab-Sin, l’Epi d'Orge (Spica, dans la Vierge) ;
Zi-Ba An.na, la Balance du Ciel (Balance) ; Gir-Tab, le Scorpion ; Pa-Bil Sag,
le Prince étincelant de feu (Sagittaire) ; Suhur-Mash Ha, le Poisson-Chèvre (Capricorne) ;
Gu-La, le Magnifique (Verseau) ; Kun, les Queues ; Shim-Mah, l'Hirondelle
(Ouest du Poisson) ; Anunitum, Announitou (Nord-Est du Poisson) ; Lu Hun.ga,
le Journalier (Bélier). Vous avez maintenant une semaine pour apprendre tous ces noms par coeur...
Le VIè siècle av J.-C. verra enfin apparaître la division de l'écliptique en douze parties égales de 30°
de largeur - correspondant chacune à un signe - à l'image du calendrier mésopotamien, lui-même divisé en
12 mois de 30 jours. Après avoir opéré cette division, l'objectif des chaldéens consiste à attribuer un
signe à chacune de ces douze parties, en repérant les constellations qui s'y intégrent le mieux. Les noms
chaldéens des signes du zodiaque ne sont pas exactement les mêmes que ceux des signes grecs classiques,
mais la majorité des figures représentant ces constellations sont restées quasiment inchangées. Il est
à noter que des figures zodiacales très proches de celles des chaldéens ont été découvertes en Egypte à
Denderah
!,
sur le toit du temple d'Hathor.
Mais trève de bavardages, voici la liste des signes du zodiaque chaldéen :
- L'Homme Loué, le Salarié, correspondait à notre actuel Bélier.
- Les Etoiles (Pléïades) étaient rattachées à Gud An.na, le Taureau du Ciel, symbole du
dieu Mardouk.
- Les Grands Jumeaux : désignant les étoiles Castor et Pollux, ils représentaient
les dieux Sin et Nergal.
- Le Charpentier, le Travailleur du bois , désignait une partie de la
constellation du Cancer. Il s'agit sans doute du surnom d'un petit animal, vraissemblablement
d'un crabe terrestre.
- Le Lion correspondait à notre Lion actuel, si ce n'est qu'il était
légèrement plus étendu.
- L'Epi désignait l'étoile Spica ainsi que la région orientale de notre Vierge.
- Le bassin de la Balance : il s'agit des étoiles α et β Librae, appelées bassin du nord et
bassin du sud. Cette constellation était également qualifiée de ''corne du scorpion'', dont elle
constituait une extension.
- Le Scorpion venait au premier rang des attribut d'Ishtar dont il symbolisait les moeurs
amoureuses cruelles.
- Pabilsag : nom d'un dieu secondaire assimilé à Ninib, le dieu de la guerre. Il était représenté
sous les traits d'un personnage semblable au Sagittaire égyptien de Denderah.
- Le Poisson-Chèvre : animal d'origine indéterminée, le poisson-chèvre
deviendra notre Capricorne (littéralement : "à cornes de chèvre").
- Le Magnifique : constellation anonyme et mal définie, il semblerait que son véritable nom soit la
"constellation géante du dieu Ea".
- Les Queues : ce sont les queues de Sinunutum et Anunitum, divinités
correspondant respectivement au Poisson occidental (Hirondelle) et au Poisson nord-oriental.
C'est d'ailleurs suite à cette partition du zodiaque en douze secteurs que seraient apparus les premiers thèmes astraux individuels, alors que depuis près de 2000 ans l'astrologie était considérée comme une affaire d'état, appliquée uniquement à la nation et à son souverain. Toutefois, seule une vingtaine de ces horoscopes individuels nous sont parvenus, le plus ancien datant de 410 av J.-C.. La civilisation babylonienne est en effet sur le déclin : en 331 avant J.-C., le dernier des Achéménides, Darius III, tombe à Gaugamélès sous les coups du conquérant Macédonien Alexandre le Grand. Après la mort de ce dernier, la Mésopotamie passe sous la domination des Séleucides (du nom de Séleucos, l'un des généraux d'Alexandre), mais à toute chose malheur est bon : cela contribue à favoriser les échanges avec le monde Grec, qui va ainsi accéder au savoir accumulé des siècles durant par les savants babyloniens.
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