Astronomie pour les myopes

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Une histoire des constellations - Chapitre 6

Le ciel de la Renaissance

Les XVè et XVIè siècles voient s'accomplir d'importants progrès dans le domaine de la cartographie, notamment grâce aux voyages d'exploration qui lui fournissent des informations plus nombreuses et plus précises. Dans le même temps, l'invention de l'imprimerie et les avancées réalisées dans les domaines de l'impression et de la gravure favorisent la diffusion des cartes. La représentation de la voûte céleste va bien entendu bénéficier de toutes ces améliorations.

En occident, l'une des premières cartes du ciel, appelée Manuscrit de Vienne, date des environs de l'an 1440. Il faut cependant attendre 1515 pour que le peintre et graveur allemand Albrecht Dürer (1471-1528) réalise, avec l'aide de l'astronome Conrad Heinfogel, ce qui est considéré comme le premier planisphère céleste d'importance. S'inspirant du globe de l'Atlas Farnèse, il nous livre ici une oeuvre où figurent les 48 constellations ptolémaïques.

Planisphère céleste d'Albrecht Durer - Hémisphère nord du globe céleste
Planisphères gravés sur bois par Albrecht Dürer et publiés en 1515 à Nuremberg

Un oeil averti notera au passage que les constellations y sont reproduites "à l'envers", telles qu'elles figurent sur les globes, où l'on considère que l'observateur se situe "à l'extérieur" de la sphère céleste et non pas sur Terre. Un oeil non averti ne notera rien de particulier. Ce type de représentation était de mise à l'époque et il faudra attendre les travaux de Johann Bayer pour "redresser" la situation.

Restons quelques temps en allemagne et allons à la rencontre de Peter Bienewite Apian, dit Petrus Apianus (cela fait toujours bien de latiniser son nom), né en 1495 d'un père cordonnier à Leipzig, dans la Saxe (Est de l'Allemagne). Astronome et mathématicien, il s'inscrit à l'université de Vienne afin de parfaire ses connaissances en mathématiques et en géographie, ce qui lui vaut, en 1527, l'attribution d'un poste de professeur de mathématiques à l'université d'Ingolstadt. Le métier de professeur laissant, comme chacun le sait, beaucoup de temps libre, il en profite pour ouvrir une imprimerie, de laquelle il sort, en 1540, un atlas intilulé Astronomicum Caesareum !, qu'il dédie à l'empereur Charles Quint. Sur la planche ci-dessous, tirée de cet ouvrage, figurent les 48 constellations de Ptolémée ainsi qu'une nouvelle venue, la Chevelure de Bérénice, qui apparaît sous le nom de Crines Berenices.

Apian - Constellations de Ptolémée

Il s'agit d'une ''volvelle'' (du latin volvere, tourner), c'est-à-dire une carte constituée d'un cadre fixe sur lequel peuvent tourner un (ou plusieurs) disque de papier mobile. L'invention de la volvelle remonte probablement à l'Antiquité, mais cet outil ne sera popularisé et diffusé à grande échelle qu'après l'invention de l'imprimerie. Remplaçant dans une certaine mesure les instruments métalliques, beaucoup plus coûteux, les volvelles sont principalement utilisées pour effectuer le calcul d'événements astronomiques présentant un caractère cyclique : heure du début et de la fin du jour, déclinaison du Soleil selon la date, détermination de la date de Pâques, estimation de l'heure des marées en fonction de la position de la Lune...
Pour en revenir à la Chevelure de Bérénice, c'est l'une des seules constellations dont le nom est attaché à une personne ayant réellement existé (elle partage cet honneur avec l'Ecu de Sobieski). On raconte que la reine Bérénice II d'Egypte (née vers 267 av J.-C.), fort inquiète de voir son époux (le pharaon Ptolémée III) partir en expédition en Syrie, promit à la déesse Aphrodite de lui faire don de sa magnifique chevelure si ce dernier revenait vivant. Lorsqu'il rentra sain et sauf, elle fut bien obligée de s'éxécuter : elle se coupa les cheveux et les déposa au temple de la déesse. Quand le roi aperçut Bérénice, il n'en crut pas ses yeux et entra dans une grande colère : quelle mouche avait donc piquée sa tendre et chère durant son absence ? qu'était-il arrivé à sa royale tignace ? Comme si cela ne suffisait pas, ladite tignace était maintenant introuvable, semblant s'être volatilisée ! Fort heureusement, l'astronome de la cour Conon de Samos, jamais à court d'idées, apaisa le courroux de Ptolémée en lui expliquant qu'Aphrodite en personne s'était emparée de la chevelure de son épouse et l'avait placée sur la voûte céleste, où elle apparaissait désormais sous la forme d'un modeste astérisme, prenant la place de ce qui était autrefois appelé la Queue du Lion. Cet astérisme porte depuis le nom de Chevelure de bérénice... Soyons honnête, cette légende est bien jolie, mais il ne s'agit que d'une construction à posteriori : il n'est fait mention de cette constellation qu'à partir de l'année 1536, sur un globe conçu par le cartographe allemand Caspar Vogel, où elle semble apparaître pour la première fois.

Atlas de Piccolomini

Contemporain de Peter Apian, l'humaniste, philosophe et poète toscan Alessandro Piccolomini (1508-1579) publie en 1540 ce qui est considéré comme le premier atlas céleste de la Renaissance, le Della sfera del mondo, où il défend le système de Ptolémée. Destiné à un public lettré, l'atlas ne brille pas par ses qualités esthétiques, mais il introduit une grande nouveauté : les étoiles y sont classées par ordre de luminosités croissantes, et se voient assignées des lettres de l'alphabet latin. Il est possible de consulter cet ouvrage en se rendant ici !.
Vous avez peut-être reconnu, sur l'image ci-contre, la constellation de Persée. dominée par les étoiles Mirfak et Algol, qui se voient attribuer respectivement les lettres A et B.


Citons également pour mémoire le mathématicien et géographe flamand Gérard Mercator (1512-1594), qui construit vers 1541 un globe terrestre plus précis que ceux dont on dispose alors, ce qui lui vaut l'estime de Charles Quint. Fort de cette expérience il se lance, dix ans plus tard et à la demande de l'empereur, dans la conception d'un globe céleste !, sur lequel figurent les 48 constellations grecques.
Bien entendu le nom de Mercator reste avant tout associé à la méthode de projection cartographique dont il est l'inventeur, qui permet de représenter la surface de la Terre sur une carte plane. Cette méthode, bien qu'imparfaite (elle déforme les surfaces dans les latitudes élevées), reste de nos jours l'une des plus employées dans les pays européens.

Portrait de Mercator


Les XVè et XVIè siècles ne voient donc pas de changements majeurs sur la voûte céleste, ornée depuis l'époque de Ptolémée de quarante-huit constellations, essentiellement visibles depuis l'hémisphère boréal. La liste est donc loin d'être complète (notre ciel en compte aujourd'hui quatre-vingt-huit) : la plupart des constellations de l'hémisphère sud restent en effet à inventer, mais il va falloir attendre encore un demi-siècle avant d'en voir apparaître de nouvelles...

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