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Il va nous falloir, au long de ces quelques lignes, laisser de côté toutes nos références : le Ciel chinois antique n'a en effet strictement rien à voir avec celui qui s'est imposé en Europe, principalement issu de la culture grecque et latine. Contrairement aux Occidentaux pour qui le Ciel, résidence des dieux, est éternel, immuable, parfait, et par conséquent totalement distinct du monde terrestre, les Chinois considèrent le Ciel comme le miroir de la Terre, conception motivée par une philosophie dualiste où Ciel et Terre sont les pendants du Yin et du Yang, principes à la fois opposés et complèmentaires.
Les deux mondes étant dès lors inextricablement liés, l'observation des phénomènes astronomiques s'avère être une activité primordiale, les phénomènes en question ayant nécessairement, dans ce cadre conceptuel, des répercussions ici-bas, en particulier dans l'Empire. Voilà pourquoi nous ne pouvons aborder l'étude des constellations chinoises sans la replacer dans un contexte plus large, à savoir celui de l'astronomie chinoise en général, cette dernière constituant un maillon essentiel de la vie politique et religieuse du pays. A ce titre l'empereur, appelé Tianzi ("Fils du Ciel"), est considéré comme le représentant du Ciel sur la Terre, entre lesquels il fait office de trait d'union. Cette tâche est ingrate puisque, censé maintenir l'harmonie entre les deux mondes, il peut voir son autorité remise en cause à tout moment par l'irruption d'un événement céleste inattendu, comme la conjonction rapprochée des cinq planètes visibles à l'oeil nu, signe avant-coureur d'un changement de dynastie. Bien entendu, l'empereur entretient une véritable cour d'astronomes (nous y reviendrons), chargés de lui rendre compte quotidiennement de leurs observations.
L'astronomie chinoise
Bien que très prisé, le métier d'astronome n'est toutefois pas sans risque, une interprétation
erronée ou une erreur dans le calcul d'une date pouvant être fatales à leur auteur. Outre l'établissement
de calendriers permettant de fixer les dates des différentes fêtes, les astronomes Chinois consignent dans
leurs archives tous les phénomènes célestes sortant de l'ordinaire : éclipses,
météoresLe terme météores étant ici pris dans le sens d'étoiles filantes
ou de bolides (pour les plus brillants d'entre eux).
Dans un sens plus large, on appelle météore tout phénomène atmosphérique, qu'il produise de la lumière
(éclair, étoile filante, aurore polaire, arc-en-ciel...) ou pas (dust devil, tornade, pluie, neige, grêle...).
,
comètes,
supernovaeUne supernova (de type II) consiste en l'explosion cataclysmique
d'une étoile massive (au moins huit masses solaires) arrivée au terme de sa vie.
Il existe un autre type de supernova, dit de type Ia, résultant de l'explosion d'une naine blanche
bénéficiant d'un transfert de matière provenant d'une compagne, généralement une géante rouge. Lorsque
la masse de la naine blanche, suite à cet apport de matière, franchit une certaine limite, dite de
Chandrasekhar, elle explose.
L'éclat d'une supernova est tel qu'elle peut rivaliser, durant plusieurs semaines, avec la luminosité
d'une galaxie entière.
(appelées ke xing, c.-à-d. "étoiles invitées"), taches solaires,
conjonctionsOn dit que deux planètes sont en conjonction lorsque,
du point de vue de l'observateur, elles paraissent proches l'une de l'autre. planétaires...
tout est scrupuleusement enregistré afin d'effectuer des prédictions. C'est ainsi qu'une étoile filante annonce,
selon l'intensité de son éclat, la mort d'une personne du peuple (si elle est peu lumineuse) ou d'un dignitaire
(si elle est très brillante). Dans le même esprit, le nombre d'étoiles visibles dans l'astérisme Guansuo (notre
Couronne Boréale), qui représente une prison, indique si la population carcérale va augmenter ou au
contraire diminuer.
L'astronomie est donc inséparable de l'histoire chinoise : certains calendriers ont même été établis, à partir de l'observation des étoiles, il y a près de 4000 ans, sous la dynastie la plus ancienne du pays, celle des Xia (de 2100 à 1600 av J.-C.). Plus tard, sous la dynastie des Shang (de 1570 à 1045 av J.-C.), des "os-oracles" servant à la divination sont confectionnés à partir d'omoplates de bovins ou de carapaces de tortues. Découverts fortuitement en 1898, suite à l'ouverture d'une crevasse consécutive à une inondation, dans le Henan, nombre d'entre eux seront broyés et consommés par des villageois qui pensaient qu'il s'agissait d'os de dragons dotés de vertus médicinales. Une partie de ces artéfacts échappera heureusement au festin, grâce à l'intervention d'un érudit qui y remarquera des traces d'une écriture chinoise qui, près analyse, s'avéra être l'une des plus anciennes formes connues, datant vraissemblablement de plus de 3000 ans. Autre découverte de taille : sur l'un de ces os figure la plus ancienne mention d'une supernova, remontant peut-être à l'an 1400 av J.-C..
La dynastie suivante, celle des Zhou (de 1045 à 220 av J.-C.), se termine par la période dite des "Royaumes combattants" (de 475 à 220 av J.-C.), période trouble qui voit l'empire se morceler en une multitude de cités-Etats, guerroyant sans cesse les unes contre les autres. Mais nous ne sommes pas là pour évoquer le fracas des armes. En 1972, près de la ville de Changsha, dans le Hunan (à ne pas confondre avec le Henan), trois tombes sont découvertes. L'une d'entre elles abrite la dépouille d'une noble chinoise, Xin Zhui, plus connue sous le nom de marquise de Dai. Immergée dans un liquide rouge de nature inconnue, elle se trouve être dans un état de conservation impressionnant. Il faut dire que son mari, Li Cang, fou amoureux d'elle, fit appel aux meilleurs médecins et alchimistes de son temps afin de conserver l'aspect de son corps le plus longtemps possible après sa mort (survenue en 167 av J.-C.).
Les tombes, recouvertes de couches de charbon et d'argile blanche, ont été préservées des méfaits de l'humidité. Elles abritent un tas d'objets hétéroclites : coffrets de toilette, vases, coupes, éventails, instruments de musique... et pièces de soie. Parmi ces dernières, figure un document exceptionnel, le "livre de soie de Mawangdui". Comportant plus de 100 000 caractères écrits sur plusieurs rouleaux de soie, l'ouvrage en question traite aussi bien de gymnastique, de médecine chinoise, de philosophie, de géographie, que d'astronomie. L'un des rouleaux, consacré à la "Divination par les phénomènes astronomiques et météorologiques", est orné de près de 250 dessins de nuages, du Soleil, de la Lune et, ce qui est beaucoup plus étonnant, de comètes. Il s'agit en réalité du plus ancien ouvrage connu où figurent des dessins de comètes, riche de vingt-neuf représentations détaillées permettant de distinguer le nombre et l'aspect des différents types de queues. En Occident, il faut attendre le XVIe siècle pour avoir quelque chose d'équivalent.
Les astronomes Chinois emploient différents termes pour désigner les comètes, comme hui xing
("étoiles-balais"), ou chang xing ("étoiles longues"), selon l'aspect présenté par leur
queue. Il faut donc que ces dernières soient suffisamment brillantes pour être visibles à l'oeil nu ce qui,
à défaut d'être rarissime, n'est tout de même pas chose courante. Etablir un catalogue aussi complet
que celui du livre de soie a donc dû nécessiter de compiler des observations sur une longue période,
au bas mot plusieurs siècles. Il n'y a là rien de surprenant quand on sait que des mentions de comètes
apparaissent sur des os gravés de la dynastie des Shang. Le plus étonnant dans tout cela, c'est que les
astronomes d'aujourd'hui utilisent encore les données fournies par les archives chinoises, dont ils tirent
nombre d'informations. Prenons la comète de Halley. En Chine, depuis l'an 240 av J.-C., ses apparitions
ont toutes été consignées (ce qui représente tout de même 29 passages), en particulier celle de l'an 837,
décrite de façon très précise dans le Tang Shu, ouvrage relatant l'histoire des Tang. Toutes
ces données ont permis de montrer que la période de révolution de la comète de Halley pouvait fluctuer entre
76 et 79 ans, et que son orbite n'était peut-être pas stable sur le long terme.
Contrairement aux scientifiques actuels, les astronomes Chinois d'antan ne cherchent pas à calculer la
trajectoire des comètes. Ils se contentent de noter avec précision l'endroit où elles apparaissent, le
chemin qu'elles empruntent dans le ciel, et après avoir fait le rapprochement avec une région particulière
de l'empire, tentent d'en tirer les conséquences : cette région sera-t-elle sujette aux inondations,
verra-t-elle la mort prochaine de quelque personnage important ? Etc... Science et divination sont donc ici
intimement liées.
Bien entendu, tout ce travail d'archivage demande beaucoup d'organisation et de main
d'oeuvre. Pour ne prendre qu'un exemple, sous le règne de Qin Shi Huang (259-210 av J.-C.), fondateur
de la dynastie Qin (qui a donné son nom à la Chine), l'observatoire royal emploie plus de 300
personnes !
Si le nom de l'empereur Qin Shi Huang n'est guère connu en Occident, ce dernier est pourtant à l'origine
d'une construction titanesque, la Grande Muraille, ouvrage destiné à protéger le nord de la Chine contre
les attaques de tribus nomades venues de Mongolie. Pour la petite histoire, à la fin de sa vie, il fit
également construire un immense mausolée, dans lequel il se fit enterrer avec une armée de terre cuite
constituée de plusieurs milliers de soldats (image ci-dessous).
Qin Shi Huang est également connu pour une autre raison, beaucoup moins avouable. Afin de glorifier ses propres exploits et d'amoindrir la mémoire de ses prédécesseurs il ordonne, en 213 av J.-C., de faire brûler leurs annales, réduisant en cendres une foule de documents historiques et astronomiques.
Fort heureusement, tout ne fut pas perdu. Environ un siècle après ce funeste événement,
l'astronome Sima Qian (de 145 à 86 av J.-C.) va compiler, dans un ouvrage encyclopédique appelé
le Shiji, une multitude de faits historiques provenant de documents ayant échappé à l'autodafé
de 213. Par chance, le Shiji fait également état des connaissances scientifiques du passé,
notamment en astronomie, ce qui permet de recoller en partie les morceaux.
Fait incroyable, il n'y aura, par la suite, plus aucune interruption dans les archives chinoises.
L'observation du Soleil occupe également une grande place dans l'astronomie chinoise. Les éclipses
solaires en particulier sont d'une importance capitale, car leur survenue peut tout bonnement remettre
en cause la légitimité du souverain. Une fois encore, les plus anciens témoignages relatifs à ce type de
phénomène nous ont été transmis par les "os-oracles" de la dynastie des Shang (de 1570 à 1045 av J.-C.).
Plus tard, sous les Zhou (de 1045 à 220 av J.-C.), une liste de 37 éclipses (totales ou partielles) a
été établie sur la seule période allant de 721 à 480 av J.-C.. Il est à noter que pour 33 d'entre elles,
les dates fournies par les archives chinoises ont été confirmées par le calcul.
Dans la Chine d'autrefois, on pense que lors d'une éclipse de Soleil, celui-ci se fait dévorer par la Lune.
Une coutûme (qui s'est d'ailleurs perpétuée) consiste alors à faire le plus de bruit possible en tapant sur
des casseroles, des tambours, des assiettes, afin d'effrayer la Lune et de la faire fuir. Force est de
reconnaître que jusqu'à présent, cette méthode s'est avérée très efficace.
Un dernier mot à propos du Soleil. Sa surface est régulièrement couverte de taches sombres, de tailles et
de formes irrégulières, les taches solaires, visibles à l'oeil nu moyennant certaines précautions.
Là encore les astronomes Chinois nous ont devancés, et pas qu'un peu, puisque leur présence est signalée
dès le début de la dynastie des Han (de 205 av J.-C. à 220 de notre ère), alors que les savants
européens n'en font pas mention avant le début du XVIIè siècle.
Nous allons maintenant évoquer un autre aspect de l'astronomie chinoise : ses constellations qui, totalement différentes de celles que nous connaissons en Occident, sont le reflet de la société chinoise et de son organisation.
Le Ciel chinois
Le Ciel chinois est divisé en cinq régions appelées gong (palais). Chacune d'elles est associée
à une couleur, un animal, une saison et un point cardinal (le "centre" du Ciel, correspondant au pôle Nord
céleste, est en effet considéré comme un point cardinal). Nous avons donc : à l'est le Dragon d'azur,
au sud l'Oiseau vermillon, à l'ouest le Tigre blanc, au nord la Tortue noire, et enfin
au "centre" la Licorne jaune.
Dans la culture chinoise antique, le chiffre cinq est omniprésent. C'est ainsi que la gamme musicale, dite
pentatonique, comporte cinq notes, qu'il y a dans la nature cinq éléments, à savoir l'eau, la terre, le feu,
le bois et le métal (le monde grec considère qu'il n'y en a que quatre), et qu'il y a cinq planètes visibles
à l'oeil nu (les autres ne sont pas connues à l'époque). Chaque planète tire d'ailleurs son nom (chinois) de
l'élément auquel elle est associée : Mercure est Shui xing (l'étoile d'eau), Vénus est Jin xing
(l'étoile de métal), Mars est Huo xing (l'étoile de feu), Jupiter est Mu xing (l'étoile de bois)
et Saturne est Tu xing (l'étoile de terre).
Une autre particularité du Ciel chinois réside dans le choix du système de coordonnées. Contrairement aux
Grecs qui prennent l'écliptique comme référence, car s'attachant avant tout à l'observation et à l'étude
du mouvement des planètes, les Chinois, accordant davantage d'attention aux étoiles, en particulier à celles
situées à proximité du pôle Nord céleste, utilisent un repère équatorial. Qui plus est, ils ne divisent
pas
l'équateur céleste
L'équateur céleste est le grand cercle, tracé sur la sphère céleste, qui correspond à
la projection de l'équateur terrestre sur cette dernière.
en 360 degrés comme tout le monde, mais en 365,25 ce qui correspond au nombre de jours
solaires dans une année. L'avantage de ce curieux découpage, car il en faut bien un, c'est que le Soleil se
déplace d'un degré chinois par jour, facilitant le calcul de sa position en fonction de la date.
Une importance toute particulière est accordée à la région entourant le pôle Nord céleste : elle correspond en effet au Palais pourpre, demeure de l'empereur, lui-même figuré par l'étoile faisant alors office d'étoile polaire (entre 1500 avant J.-C. et 500 après J.-C., ce rôle est assuré par Kochab, c'est-à-dire β UMi). Quant aux quatre autres palais, ils sont divisés en 28 secteurs de longueurs inégales, les xiu, ou "loges lunaires", appelées ainsi parce que la Lune visite chaque jour l'une d'entre elles. Ces 28 loges, dont les noms ont une origine inconnue, se répartissent équitablement entre les quatre palais, qui en accueillent donc sept chacun (voir ci-dessous).
Est / Printemps | |||
Nom de la loge | Région | ||
1 | Jiao | La corne | Dragon d'azur (Qing Long) |
2 | Kang | Le cou | |
3 | Di | Le fond | |
4 | Fang | La chambre | |
5 | Xin | Le coeur | |
6 | Wei | La queue | |
7 | Ji | Le van |
Nord / Hiver | |||
Nom de la loge | Région | ||
8 | Dou | La louche | Tortue noire (Xuan Wu) |
9 | Niu | Le boeuf | |
10 | Nu | La servante | |
11 | Xu | Le néant | |
12 | Wei | Le toit | |
13 | Shi | La maison | |
14 | Bi | Le mur |
Ouest / Automne | |||
Nom de la loge | Région | ||
15 | Kui | Les pattes | Tigre blanc (Bai Hu) |
16 | Lou | La longe | |
17 | Wei | L'estomac | |
18 | Mao | La tête chevelue | |
19 | Bi | Le filet | |
20 | Zi | Le bec de la tortue | |
21 | Shen | Les trois étoiles |
Sud / Eté | |||
Nom de la loge | Région | ||
22 | Jing | Le puits | Oiseau vermillon (Zhu Que) |
23 | Gui | Les fantômes | |
24 | Liu | Le saule | |
25 | L'étoile | ||
26 | Zhang | La tenture | |
27 | Yi | Les ailes | |
28 | Zhen | Le chariot |
Encore un mot à propos des étoiles circumpolaires et de la Cité Interdite (palais pourpre). L'empereur
y figure accompagné de ses proches (prince héritier, concubine impériale), de conseillers, de ministres,
d'officiers de l'armée, sans oublier les appartements de tout ce beau monde. Deux murs, séparés par deux
portes, ceinturent le palais, le premier étant formé par des étoiles de la constellation du Dragon, le second
s'étendant du Dragon à la Girafe. Juste en dehors du palais, on trouve tout ce qui est indispensable au bon
fonctionnement de ce dernier : cuisine, dortoirs, juge, prison... L'astérisme que nous appelons Grand Chariot
(visible en bas de la carte ci-dessous) est parfois considéré comme un char permettant à l'empereur de faire
le tour du palais, mais le plus souvent il est vu comme une sorte de louche, Beidou, le "Boisseau du
Nord", instrument servant à mesurer des quantités de céréales.
Nous l'avons vu, le Ciel chinois est à l'image de la sociéte, chaque groupe d'étoile ou astérisme
correspondant à une activité particulière de la vie terrestre. A fur et à mesure que l'on s'éloigne du pôle
céleste, on croise des personnes de rang moins élevé, et nombre d'astérismes à connotation militaire : officiers
et soldats, armes, intendance... les régions les plus éloignées du pôle correspondant aux limites de l'Empire.
Certains détails ne manquent d'ailleurs pas de pittoresque : il existe un astérisme figurant des latrines, à
l'intérieur duquel un autre astérisme, constitué d'une seule étoile, représente... mais je vous laisse
deviner.
Beaucoup plus nombreux (et généralement plus petits) que nos constellations, ce sont près de 300 astérismes qui ornent ainsi le Ciel chinois. Le catalogue ancien le plus complet qui nous soit parvenu date du IIIè siècle de notre ère. On le doit à l'astronome Chen Zhuo (220-280), qui y fait état de 1464 étoiles, réparties sur 283 astérismes. Quant à la plus ancienne carte du ciel connue, la carte de Dunhuang !, elle aurait été élaborée durant la seconde moitié du VIIè siècle, sous la dynastie des Tang. Découverte fortuitement en 1899 dans une grotte faisant autrefois office de monastère, près de l'oasis de Dunhuang (désert de Gobi), sur la route de la soie, elle a été rapportée en Angleterre dans les bagages de l'explorateur Aurel Stein, et se trouve aujourd'hui dans les archives du British Museem. Il est à noter que parmi les milliers de documents découverts dans cette grotte (environ 40000 manuscrits), figure également le plus vieux livre imprimé connu à l'heure actuelle, un Sutra du diamant (l'un des grands textes du bouddhisme), datant de l'an 868. Mais revenons à notre carte. Large de 25 cm et longue d'environ 2 m, elle comporte les dessins de près de 3000 étoiles formant 257 astérismes, répartis sur douze secteurs verticaux correspondant aux douze mois de l'année, ainsi qu'une carte circulaire (voir ci-dessus) correspondant à la région circumpolaire. Les étoiles y sont représentées par de petits cercles (souvent reliès par un trait) ayant sensiblement la même taille quelque soit leur éclat, ce qui ne facilite pas leur identification.
En regardant attentivement, on remarque que ces petits cercles sont de trois couleurs différentes :
orange, noir et blanc. La carte de Dunhuang résulterait en effet de la fusion de trois catalogues beaucoup
plus anciens, remontant à la période dite des "Royaumes combattants" (de 476 à 221 av J.-C.).
D'autres cartes ont bien entendu été produites par la suite. Nous pouvons notamment citer, à titre d'exemples, la carte de Su Song (1092) et le planisphère de Suzhou (1193).
Su Song (1020-1101), à la fois astronome, cartographe, horloger, botaniste, géologue (et j'en passe),
est considéré comme l'un des plus grands savants de la période correspondant à la dynastie des Song
(960-1279). Il est notamment connu pour avoir fabriqué, à Kaifeng (dans la province du Henan), une énorme
horloge astronomique
Horloge astronomique de Su Song, mue par la force de l'eau.
(elle faisait douze mètres de haut), mue par la force de l'eau. Il est également l'auteur d'un traité
d'horlogerie, le Xiangfayao Xinyi, à l'intérieur duquel il ajoute un atlas céleste comportant cinq
cartes du ciel. Sur la carte ci-dessus (qui fait partie de l'atlas), nous pouvons voir des bandes verticales
d'inégales largeurs, qui correspondent aux xiu, les fameuses "loges lunaires" que nous avons déjà
évoquées.
L'astronome Huang Shang a conçu le planisphère de Suzhou (en 1193) a des fins pédagogiques : il visait
avant tout à instruire le jeune prince des choses du ciel, avant son accession au poste suprême. On retrouve
là encore le découpage du ciel en 28 xiu, au milieu desquelles on distingue le "grand fleuve céleste"
(la Voie Lactée), ainsi que deux grands cercles sécants correspondant à l'équateur céleste et à
l'écliptique
La Terre décrit, en tournant autour du Soleil, une ellipse. C'est le plan défini par cette
ellipse que nous appelons plan de l'écliptique, dénomination qui découle du fait que
la Lune doit traverser ce plan pour que puissent se produire des éclipses (de Lune ou de Soleil).
Vue de la Terre, l'écliptique correspond à la projection, sur la voûte céleste, de la trajectoire
annuelle du Soleil.
C'est sur l'écliptique que l'on trouve les constellations du zodiaque, délimitées sur la voûte
céleste par une "ceinture" large d'environ 16°..
Si vous souhaitez découvrir plus en détail quelques astérismes chinois, vous pouvez vous rendre ici !.
Encore une remarque au sujet du Ciel chinois. Dans le monde occidental, plusieurs théories se succèdent
au cours des âges pour expliquer le fonctionnement de l'Univers : Terre plate surmontée d'un dôme, Terre
sphérique immobile au centre de l'Univers (géocentrisme), Terre tournant autour d'un Soleil immobile
(héliocentrisme), etc... Principe de non-contradiction oblige, la théorie la plus récente, possédant un
meilleur pouvoir explicatif, chasse l'ancienne, qui devient dès lors caduque. En Chine au contraire, plusieurs
conceptions du monde vont être amenées à coexister. C'est ainsi que sous la dynastie des Han (de 205
av J.-C. à 220 de notre ère), trois modèles d'Univers auront cours, parfois concomitamment malgré leur
incompatibilité, ce qui ne pose d'ailleurs aucun problème puisque cela reste en accord avec la philosophie
du yin et du yang, qui y voit un principe de complémentarité permettant de diversifier les approches : on
fait appel à tel modèle plutôt qu'à tel autre pour expliquer tel ou tel phénomène, au gré des besoins.
Voyons ces modèles d'un peu plus près...
Le premier d'entre eux, qui est également le plus ancien, est appelé Gai Tian, c'est-à-dire le "dôme céleste". La Terre, plate et immobile, y est décrite comme étant surmontée d'un dôme en forme de bol renversé qui, dans son mouvement de rotation, entraîne les astres d'est en ouest. A l'inverse de ce qui est envisagé dans le modèle babylonien antique, les astres ici ne se couchent jamais (ils ne passent donc jamais sous la Terre), mais deviennent invisibles parce que dans leur course quotidienne, arrive un moment où ils sont trop éloignés de l'observateur pour que ce dernier puisse les voir. Un autre point distingue ce modèle de celui qui a cours dans l'ancienne Mésopotamie : la Terre n'est pas considérée comme étant circulaire, mais de forme carrée.
Le second modèle est appelé Hun Tian, c'est-à-dire la "sphère céleste". On le doit au célèbre astronome Zhang Heng (78-139). Le cosmos y est comparé à un oeuf de poule parfaitement sphérique. La Terre, située au centre, correspond au jaune de cet oeuf. La sphère céleste, inclinée sur son axe (suite à la maladresse d'un certain Goggong, qui brisa l'une des colonnes soutenant le Ciel lors d'un combat), tourne autour de la Terre. Ce modèle géocentrique, qui fait penser à celui de Ptolémée, en diffère cependant : alors que les Grecs considèrent la sphère céleste comme la frontière ultime, le Ciel ne connait pas de limite dans le modèle chinois.
Zhanh Heng donne une interprétation correcte de l'éclat des astres. Dans un ouvrage intitulé Ling Xiang, il explique que "Le Soleil est comme le feu et la Lune est comme l'eau. Le feu donne la lumière et l'eau la reflète." De même, "Les planètes [...] ont la nature de l'eau et réfléchissent la lumière".
Le troisième modèle enfin, Xuan Ye, ou "nuit qui envahit tout", est généralement attribué à un certain Chi Meng, contemporain de Zhang Heng. Selon ce modèle, la Terre, le Soleil, la Lune et les étoiles flottent dans un immense espace vide et infini, point de vue étonnamment proche de nos conceptions modernes.
Il y aurait encore bien des choses à raconter à propos de l'astronomie chinoise, vaste sujet que nous n'avons fait qu'effleurer, mais il faut se montrer raisonnable...
Sources
Auger (Jean-Pierre) : L'astronomie dans la Chine antique
http://www.astrosurf.com/quasar95/exposes/astronomie_chinoise.pdf
Bonnet-Bidaud (Jean-Marc) : 4000 ans d'astronomie chinoise,
Ed. Belin
Bonnet-Bidaud (Jean-Marc) : Astronomie chinoise
http://bonnetbidaud.free.fr/chine/index.html
Haddad (Leïla) et Duprat (Guillaume) : Cosmos, une
histoire du ciel, Ed. Seuil
Martzloff (Jean-Claude) : Etoiles et constellations - L'astronomie chinoise
https://chinesereferenceshelf.brillonline.com/grand-ricci/files/etoiles-constellations-chinoise.pdf
Nazé (Yaël) : Astronomies du passé - De Stonehenge aux pyramides mayas,
Ed. Belin
Trotignon (Roland) : Les constellations chinoises
Société Astronomique Populaire de Toulouse
http://clea-astro.eu/archives/cahiers-clairaut/CLEA_CahiersClairaut_145_14.pdf
Astronomie pour les myopes -
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