Quand on observe le ciel dans un télescope d'amateur, parmi les innombrables étoiles qu'il nous est donné de voir, il arrive que l'on tombe, volontairement ou non, sur de petites taches floues aux contours indécis, ce qui leur a bien vite valu le nom de nébuleuses (du latin nebula qui signifie nuage). Bien qu'à cette époque on ignore absolument tout de leur nature, le philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804) suggère en 1755 qu'il pourrait s'agir de grands ensembles d'étoiles auxquels il donne le nom d'Univers-îles, situés bien au-delà des limites de la Voie Lactée et trop éloignés pour que l'on puisse en distinguer les étoiles.
Ce point de vue sera défendu près d'un siècle plus tard par un personnage haut en couleur, William Parson (1800-1867), alias lord Rosse. Ce dernier nourrit une véritable passion pour l'astronomie et n'a qu'une idée en tête : construire le télescope le plus gros et le plus puissant au monde. Tout cela a bien entendu un coût, mais l'argent n'est pas un problème pour lui : il a en effet épousé une riche héritière, ce qui lui permet en outre de disposer d'un vaste domaine en Irlande.
La construction du Léviathan, télescope doté d'un miroir en bronze de 1m80 de diamètre et pesant
plus de trois tonnes, nécessitera près de trois ans de travail. En 1845, l'instrument géant (pour l'époque) est
enfin opérationnel, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il va tenir ses promesses : Lord Rosse observe
les nébuleuses répertoriées par William Herschel et son fils
John
John Herschel, astronome comme son père, découvre de nombreux amas d'étoiles et nébuleuses,
notamment dans le ciel austral qu'il cartographie entre 1834 et 1838 depuis l'observatoire du cap de
Bonne-Espérence. Il est également considéré comme un pionnier de la photographie, puisqu'il invente
le premier fixateur, à base de thiosulfate de sodium.,
et remarque que nombre d'entre elles présentent une structure en spirale, comme la nébuleuse M 51 (la
"galaxie du Tourbillon"), dont il publie le dessin visible ci-dessous en 1850.
Tout cela l'incite à penser, à l'instar d'Emmanuel Kant, que ces nébuleuses pourraient
bien être de lointains Univers-îles, virevoltant dans l'espace tels des ballerines en tutu. Il faut
cependant attendre la toute fin du XIXè siècle pour que, les progrès de la photographie aidant, l'on
commence à y voir un peu plus clair. Un tout nouvel outil va également jouer un rôle prépondérant dans
cette insatiable quête de savoir : la
spectroscopieLa spectroscopie est une branche des
sciences qui étudie le rayonnement émis par les astres, afin de déterminer leur composition
chimique, leur vitesse radiale, leur champ magnétique...
Spectre d'une étoile de type K.
En 1899, un certain Julius Scheiner (1858-1913) observe des raies d'absorption dans le
spectre de la nébuleuse d'Andromède (M 31). A priori, rien de bien folichon...
Bien sûr, j'en entends déjà qui se disent "nom d'une pipe en bois de cèdre du Liban, c'est quoi ce charabia ?",
aussi n'est-il peut-être pas inutile de rappeler deux ou trois petites choses. Tout d'abord, quand il ne s'agit
pas d'un fantôme, un spectre n'est rien d'autre que le résultat de la décomposition de la lumière à l'aide d'un
prisme (bout de verre avec trois faces et une base triangulaire) ou d'un réseau (bout de verre
avec des rayures).
Ensuite, gardons à l'esprit que, sauf exception, les étoiles (et le Soleil) produisent un spectre continu,
dans lequel on trouve toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, ainsi que d'autres auxquelles notre oeil n'est pas
sensible (comme les infrarouges ou les ultraviolets). Mais là où cela devient vraiment intéressant, c'est que
l'on distingue dans ce "continuum" de fines raies sombres, appelées raies d'absorption, dont on sait
depuis les travaux réalisés dans les années 1860 par les allemands Robert Bunsen (1811-1899) et Gustav
Kirchhoff (1824-1887) qu'elles constituent la signature des éléments chimiques présents dans l'atmosphère
de ces étoiles. Il n'est donc pas nécessaire de se rendre sur place pour analyser leur composition chimique,
contrairement à ce qu'affirmait le père du positivisme, Auguste Comte, qui déclarait en 1835 :
"En ce qui touche les étoiles, nous ne saurons jamais étudier par aucun moyen leur composition chimique
ou leur structure minéralogique". Difficile de se tromper davantage !
Lorsqu'un nuage de gaz interstellaire (autrement dit une nébuleuse) est rendu lumineux par les étoiles qui se trouvent en son sein (où à proximité), il produit lui aussi un spectre, mais contrairement à celui des étoiles, ce dernier est essentiellement constitué de raies lumineuses, elles aussi caractéristiques des gaz qu'il contient (on appelle cela des raies d'émission).
Le rapport avec notre sujet ? Eh bien les observations réalisées au début du XXè siècle ne tardent pas
à montrer que si certaines nébuleuses donnent effectivement un spectre constitué de raies d'émission, conforme
à leur nature purement gazeuse, la plupart d'entre elles (en particulier celles ayant l'aspect de spirales)
produisent au contraire un spectre continu à raies d'absorption, à l'image de celui de la "nébuleuse" d'Andromède.
Ceci implique qu'elles sont en réalité constituées d'étoiles, que l'on arrive simplement pas à distinguer les
unes des autres parce que les instruments d'observations ne sont pas assez performants.
Encore reste-t-il à déterminer si ces systèmes stellaires sont situés "dans" ou "en dehors" de la Galaxie...
Cette question va faire l'objet, en avril 1920, de ce que l'on a appelé le "Grand Débat", au cours duquel
vont s'afronter deux astronomes américains : Harlow Shapley (1885-1972) d'une part, convaincu que tous
ces objets célestes appartiennent à la Voie Lactée, et Herbert Curtis (1872-1942) d'autre part, partisan
de l'hypothèse des Univers-îles. Il faut dire que nos contradicteurs ont tout deux de solides arguments à faire
valoir.
Curtis rappelle qu'en 1912, l'astronome Vesto Slipher (1875-1969) a mesuré, grâce à l'effet Doppler
!,
la vitesse radiale (c'est à dire de rapprochement ou d'éloignement) d'une quarantaine de nébuleuses, et est
arrivé à la conclusion étonnante que certaines d'entre elles s'éloignent de nous à près de 1000 km/s, soit une
vitesse largement supérieure à celle des étoiles de la Voie Lactée. Difficile dans ces conditions d'admettre
qu'elles appartiennent à notre Galaxie, puisqu'avec une telle vitesse elles auraient fini par s'en échapper !
Ce à quoi Shapley répond qu'en 1855 une
nova
Une étoile nova (du latin "nova stella" qui signifie "étoile nouvelle"), est une étoile qui connait
parfois de brefs mais très intenses pics de luminosité, au cours desquels son éclat peut augmenter d'un facteur
dix mille (voire davantage), durant quelques jours.
a été observée dans la nébuleuse d'Andromède, et que sa luminosité représentait à elle seule un dixième de
celle de la nébuleuse entière. Si cette dernière était un lointain Univers-île comme le prétend Curtis, alors
elle devrait, pour être visible d'aussi loin, contenir au bas mot des dizaines de milliards d'étoiles. Ceci
implique que la nova de 1855 aurait elle-même dû briller autant que plusieurs milliards d'étoiles réunies, ce
qui semble totalement absurde (on ignore alors l'existence des supernovae).
Pour trancher définitivement entre ces deux opinions contradictoires, il n'y a donc pas trente-six solutions : il
faut déterminer la distance à laquelle se trouvent ces vastes amas d'étoiles...
La suite de cette histoire se déroule en trois étapes. La première va nous conduire à l'observatoire de Harvard, aux Etats-Unis. Le développement de la photographie ayant pour corollaire un accroissement phénoménal de la quantité de données, le directeur de l'observatoire, William Charles Pickering (1846-1919), prend une décision étonnante pour l'époque (nous sommes à la fin des années 1870) : il décide d'embaucher une équipe de femmes, les Harvard Computers ("calculatrices de Harvard"), afin de traiter cette avalanche d'informations. Les recrues du "Harem de Pickering", puisque tel est le surnom que lui donnent ses détracteurs, se voient donc chargées d'analyser une multitude de photographies astronomiques (l'observatoire en accumulera près de 500 000 lors des décénies à venir !) et d'effectuer les calculs mathématiques jugés fastidieux par leurs collègues masculins, tout en étant deux fois moins payées que ces derniers...
La plus connue d'entre elles, Henrietta Swan Leavitt (1868-1921), est atteinte de
surdité (consécutive à une méningite), handicap qui lui vaut une capacité de concentration hors du commun. Très
vite, elle se voit confier par Pickering l'étude des étoiles variables, travail qui consiste à comparer des
dizaines de photographies de la même région du ciel prises à divers intervalles de temps, afin de mettre en
évidence des fluctuations dans l'éclat des étoiles. C'est là qu'une (heureuse) surprise l'attend : non seulement
elle découvre plus de 1700 étoiles variables dans le
Petit Nuage de Magellan
Le Petit Nuage de Magellan est une petite galaxie de forme irrégulière, située à environ 200 000 al
du système solaire, dans la constellation du Toucan. Elle est parfois considérée comme un satellite de la Voie
Lactée, mais il n'y a pas de certitudes à ce sujet.
,
mais elle constate que pour vingt-cinq d'entre elles, il y a un lien direct entre leur luminosié et leur période
de pulsation, les plus lumineuses ayant la période la plus grande (ces vingt-cinq étoiles étant en gros à la
même distance de la Terre, il est en effet possible de comparer leurs éclats relatifs).
Ces astres étranges sont des céphéides, étoiles géantes (voire supergéante) quatre à quinze fois
plus massives que le Soleil, dont l'enveloppe externe se contracte puis se dilate selon un rythme très régulier,
ce qui explique leurs variations d'éclat. Petite parenthèse : c'est à un jeune astronome amateur anglais,
John Goodricke (1764-1786), sourd lui aussi, que nous devons l'une des premières descriptions de ce
type d'étoile (en 1784), suite à la découverte des fluctuation d'éclat de Delta Cephei (les "céphéides"
lui doivent leur nom), fluctuations qui étaient jusqu'alors passées inaperçues. Cela lui valu d'être admis à
la Royal Society, mais il n'en saura rien puisqu'il décèdera malheureusement quelques jours après, à l'âge de
21 ans, des suites d'une pneumonie contractée lors des longues nuits passées à observer le ciel.
Henrietta Leavitt établit en 1912 ce que l'on appelle la relation période/luminosité des céphéides, qui s'avèrera être un outil indispensable pour déterminer la distances des galaxies "proches" (moins de 100 millions d'années-lumière). En effet, il suffit en principe de mesurer la période d'une céphéide (généralement comprise entre un jour et quatre mois) pour connaître sa luminosité absolue (intrinsèque) et, en comparant celle-ci à son éclat apparent (tel que vu depuis la Terre), en déduire son éloignement. Les céphéides sont donc ce que l'on appelle en astronomie des chandelles standard. Une analogie nous permettra d'y voir un peu plus clair. Imaginons que, navigant en mer en pleine nuit, nous apercevions une source lumineuse près de l'horizon. Si l'on ne dispose d'aucune information à son sujet, il est très difficile d'en estimer la distance : s'agit-il d'une flamme de bougie toute proche (ne me demandez pas ce qu'elle fait là...), d'une lanterne située à 500 mètres, ou d'un puissant phare maritime distant de plusieurs kilomètres ? Mystère. Par contre, si l'on sait qu'il s'agit d'un phare (parce qu'il émet de brefs signaux lumineux), il est déjà plus facile d'en estimer (grossièrement) la distance. Et c'est précisément ce qui fait tout l'intérêt des céphéides : la détermination de leur période nous permet en effet de savoir si l'on a affaire à de simples "lanternes" cosmiques, ou au contraire à de véritables "phares".
Mais il reste un problème : pour reprendre l'exemple précédent, si
l'on souhaite maintenant déterminer avec précision la distance nous séparant du phare, encore faut-il
connaître sa puissance. Or, c'est justement là que le bât blesse : si l'on admet que la luminosité
des céphéides est effectivement liée à leur période, cela ne nous dit pas pour autant quelle est leur luminosité
absolue (autrement dit leur "puissance"). Il va donc falloir calibrer la relation période/luminosité,
à partir d'un panel de céphéides dont on aura au préalable réussi à déterminer la distance en utilisant une
méthode qui ne repose pas sur cette relation.
J'ignore ce que ce lapin fait ici. Ne faites pas attention à lui.
La deuxième étape de cette saga interstellaire coïncide avec l'entrée en scène de l'astronome (et chimiste)
danois Ejnar Hertzsprung (1873-1967). En 1913, celui-ci parvient en effet à calculer la distance de
quelques céphéides appartenant à des amas d'étoiles, en faisant usage de ce que l'on appelle entre gens sérieux
la parallaxe statistique. En (très) gros, l'idée est la suivante : plus un amas d'étoiles semble se
déplacer rapidement
sur la voûte céleste (on appelle cela son mouvement propre), plus il y a de chances pour qu'il soit proche
de nous. Nous en faisons d'ailleurs l'expérience quotidiennement : en voiture, les objets qui défilent le plus
rapidement dans notre champ de vision sont aussi les plus proches, et inversement. Dans le cas d'étoiles
appartenant à un amas, c'est un peu plus compliqué : il faut non seulement mesurer leurs vitesses tangentielles
(perpendiculaires à la ligne de visée) mais également leurs vitesses radiales (dans la direction de la ligne de
visée), et être capable de déterminer le point du ciel vers lequel elles semblent converger par effet de
perspective. Il n'y a plus ensuite qu'à effectuer quelques calculs et le tour est joué.
En résumé : si H.Leavitt nous livre clé en main la relation permettant d'établir une correspondance
entre la période des céphéides et leur luminosité, c'est E.Hertzsprung qui rend exploitable cette relation en
la calibrant à l'aide de céphéides dont il a préalablement déterminé la distance.
Un dernier mot à propos d'Henrietta Leavitt : en 1924, le mathématicien suédois Gösta Mittag-Leffer, impressionné par ses travaux, propose de la nommer pour le prix Nobel de physique. Ce qu'il ignore, c'est que cette dernière est décédée trois ans plus tôt (le 12 décembre 1921), à l'âge de 53 ans, emportée par un cancer. Or le Nobel ne peut en aucun cas être attribué à titre posthume. A défaut d'avoir obtenu la prestigieuse distinction, H.Leavitt nous aura toutefois fourni les outils permettant de clore le débat relatif aux nébuleuses et d'aller plus avant dans l'exploration de l'Univers. Il est d'ailleurs temps de reprendre le cours de notre histoire...
La troisième étape consiste à trouver des céphéides au coeur même des amas d'étoiles prétendant au titre d'Univers-îles, et à leur appliquer la méthode décrite ci-dessus afin d'être fixés sur leur véritable nature. C'est à Edwin Hubble (1889-1953), l'un des astronomes les plus célèbres de l'histoire, que va revenir cet insigne honneur. Juste pour l'anecdote, il semblerait qu'il y ait un lien de parenté entre Hubble et le non moins célèbre bandit Jessie James, ce qui, j'en conviens, est totalement hors sujet. A l'instigation de son père, homme autoritaire, il fait des études de droit à l'université de Chicago, puis en Angleterre (à Oxford), dont il revient animé d'un fort sentiment anglophile assorti d'un accent anglais aristocratique très prononcé qu'il conservera toute sa vie, par pur snobisme. J'en profite pour rappeler que fumer tue.
Par ailleurs, doté d'un physique d'athlète, Hubble est un sportif accompli : il pratique la boxe,
le basket, le base-ball, plusieurs disciplines de l'athlétisme (il bat le record de saut en hauteur de
l'Illinois), s'initie au football américain, entraîne une équipe de basket féminine, et l'alcool, c'est
pas mieux.... Bref, il déborde d'énergie. Suite au décès de son père, il tourne définitivement le dos au
droit et à la carrière d'avocat que sa famille rêvait de le voir embrasser, pour finalement de se vouer
corps et âme à sa véritable passion : l'astronomie. Après avoir suivi quelques cours dispensés par Arthur
Eddington (1882-1944) et Forest Moulton (1872-1952), il se voit attribuer un poste à l'observatoire de
Yerkes
Dotée d'une lentille de 102 cm de diamètre, la lunette de l'observatoire de Yerkes, propriété de
l'université de Chicago, est la plus grande lunette astronomique jamais construite (en 1897), exception faite
d'une lunette de 1m25 de diamètre, fabriquée pour l'exposition universelle de 1900 à Paris, mais qui ne fut
jamais utilisée tant la qualité de ses optiques était médiocre.,
où il rédige une thèse sur les nébuleuses. Remarqué par ses pairs pour la qualité de son travail, il est
embauché en 1919 à l'observatoire du
Mont Wilson
Observatoire du Mont Wilson, construit grâce aux fonds recueillis par le millionnaire fantasque George
Ellery Hale. Il abrite le télescope Hooker de 100 pouces (2m50), financé en partie par John Hooker,
riche californien ayant fait fortune dans la quincaillerie.,
perdu dans les montagnes à 1740 m d'altitude, ce qui lui permet d'accéder au tout récent télescope "Hooker".
Mis en service en novembre 1917, il s'agit de l'instrument le plus puissant de l'époque, doté d'un miroir
de 2m50 de diamètre (fabriqué en France, à Saint-Gobain). Le projet fut porté à bout de bras par l'astronome
américain George Ellery Hale, riche excentrique dont la santé mentale, se détériorant avec les années
pour cause de surmenage, l'obligea à passer plusieurs mois dans un hôpital psychiatrique. Parfois victime
d'hallucinations, Hale avait, selon ses propres dires, confié ses projets astronomiques à un elfe vert qui
lui rendait régulièrement visite. A part ça, le télescope fonctionne parfaitement...
Pour ce qui est de la nomination de Hubble au Mont Wilson, bien qu'il s'agisse d'une magnifique promotion, il
y a toutefois une ombre au tableau : il va être amené à côtoyer Harlow Shapley, pour lequel il éprouve aussitôt
une vive antipathie, sentiment qui s'avère d'ailleurs réciproque. Il faut dire qu'Hubble a une très forte
personnalité et présente des traits de caractère vraiment particuliers. Ses collègues le jugent vantard et
arrogant, et ne supportent pas le côté ostentatoire de ses idées militaristes : il travaille au télescope en
tenue militaire et demande qu'on l'appelle "major Hubble" (il s'est enrôlé comme volontaire lors de la première
guerre mondiale, et il rempilera lors de la seconde).
Malgré cela, les résultats ne se font pas attendre : durant la nuit du 4 octobre 1923, il repère sur une
photographie de M 31 (nébuleuse d'Andromède) un petit point lumineux qu'il prend d'abord pour une nova, et
inscrit à côté la lettre "N". Des photographies de la même région prises ultérieurement lui montrent qu'il
ne s'agit pas d'une nova, mais bel et bien d'une céphéide : il barre alors le N et le remplace par un beau
"VAR !"
!, signifiant
"variable". Il avait enfin trouvé ce qu'il cherchait...
Après en avoir déterminé distance, qu'il estime à 900 000 années-lumière (nous savons aujourd'hui qu'elle est en
réalité à plus de deux millions d'al), il arrive à la conclusion que la nébuleuse d'Andromède ne peut en aucun
cas faire partie de la Voie Lactée. Il découvre également des céphéides dans d'autres "nébuleuses" (NGC 6822,
M 33...), et parvient là encore à la même conclusion. Ces lointains amas d'étoiles, Hubble leur donne le nom de
"nébuleuses extragalactiques" mais, ironie du sort, son collègue Shapley préfère les appeler galaxies,
terme qui sera vite adopté par la communauté scientifique. Le débat quant à leur nature est enfin clos, et
l'Univers devient dès lors beaucoup plus grand, vertigineusement grand...
La Voie Lactée n'est donc pas la seule de son espèce, loin de là, puisque l'on sait aujourd'hui que ce sont au bas mot près de cent milliards de galaxies (peut-être même ving fois plus selon certaines études récentes) qui peuplent l'Univers observable. Il en existe une multitude de variétés, et c'est une fois encore à Edwin Hubble que nous devons le système de classification actuel. Dans les années 1920, il établit ce que l'on appelle la séquence de Hubble (ou "diapason de Hubble" en raison de son aspect), où il classe les galaxies en fonction de leur morphologie.
Les galaxies elliptiques, en forme de ballons de rugby, sont classées de E0 à E7 en fonction de leur
ellipticité (allongement). Quant aux galaxies spirales, elles se répartissent en deux grandes familles,
correspondant chacune à l'une des branches du diapason : les spirales "normales" (notées S), où les bras se
développent directement à partir du bulbe (région centrale) de la galaxie, et les spirales barrées (SB), qui
possèdent une barre centrale à partir de laquelle partent les bras. On attribue également aux galaxies spirales
lettre minuscule a, b ou c, selon que les bras spiraux sont enroulés de façon très serrée autour d'un bulbe
central proéminent (a), beaucoup moins serrés (b), voire très ouverts (c), avec un petit bulbe central.
Certaines galaxies ressemblent aux galaxies spirales mais ne possèdent pas de bras : elles sont qualifiées de
lenticulaires et notées S0. Quant à celles qui ne présentent aucune symétrie remarquables, ce sont des
galaxies dites irrégulières (Irr), qui sont généralement placées à l'extérieur du diapason de Hubble.
Cette classification sera révisée en 1959 par l'astronome franco-américain Gérard de Vaucouleur, qui note
SA les spirales normales, et ajoute une catégorie intermédiaires, les galaxies faiblement barrées, notées SAB,
ainsi que la lettre d pour celles qui ont les bras très peu enroulés. Si l'on s'en tient à cette classification,
notre galaxie serait de type SABbc, pour autant que l'on puisse en juger de l'intérieur : il s'agirait donc
d'une spirale faiblement barrée, dont l'ouverture des bras serait intermédiaire entre les catégories b et c.
Pour en revenir à Hubble, il commet une erreur en estimant que la disposition des galaxies sur son "diapason" reflète l'évolution de ces dernières au cours du temps. Il pense notamment que les galaxies de type elliptique et lenticulaires, dites "précoces", se forment avant les autres et finissent par se transformer en galaxies spirales, censées être de type "tardif". Nous savons aujourd'hui qu'il n'en est rien.
Les quelques exemples qui suivent nous permettront sans doute d'y voir un peu plus clair dans cette
classification.
Les galaxies elliptiques, nous venons de le voir, ont vaguement la forme de ballons de rugby plus ou moins allongés (en termes plus scientifiques, ce sont des sphéroïdes). Elles ne font généralement pas dans la demi-mesure puisque ce sont soit des naines insignifiantes (ne contenant parfois "que" quelques millions d'étoiles), soit au contraire de véritables monstres pouvant renfermer jusqu'à cinquante fois plus d'étoiles que la Voie Lactée, à l'image de la géante M 87, visible ci-dessous. Très pauvres en gaz et en poussières, ces galaxies ne contiennent pratiquement que de vieilles étoiles car les naissances y sont de ce fait très rares. De plus, à l'inverse des galaxies spirales qui sont animées d'un mouvement de rotation d'ensemble, les galaxies elliptiques voient leurs étoiles se déplacer de façon aléatoires, telles des abeilles dans un essaim, ce qui confirmerait l'hypothèse selon laquelle elles seraient le résultat (du moins pour les plus grandes) de la fusion de deux ou plusieurs galaxies spirales.
Pour en revenir à la galaxie elliptique géante M87, située à 53 millions d'al dans l'amas de la Vierge (nous aurons l'occasion d'en reparler dans le prochain chapitre), elle abrite en son sein un trou noir supermassif, dont la masse est estimée à six milliards de masses solaires, soit environ mille fois plus que celui qui se cache au coeur de la Voie Lactée ! Mais ce qui le rend vraiment unique, outre sa masse impressionnante, c'est qu'il est le tout premier trou noir dont ait réussi à obtenir une image, publiée en avril 2019 (voir plus bas).
Bien que déjà très imposante, M87 ne fait pourtant pas le poids si on la compare à la galaxie elliptique géante IC 1101, la plus grande connue à l'heure actuelle. Située à un peu plus d'un milliard d'années-lumière, dans la constellation du Serpent, cette dernière serait environ 2000 fois plus massive que la Voie Lactée et s'étendrait sur près de six millions d'années-lumière (contre "seulement" 100 000 pour notre galaxie) !
D'un point de vue purement esthétique, les galaxies elliptiques font piètre figure comparées aux galaxies spirales, incomparablement plus majestueuses. Ces quelques images vous permettront de juger par vous même.
Sur l'image ci-contre vous pouvez admirer la galaxie spirale M 74, située à environ
trente millions d'années-lumière. Plusieurs choses sautent aux yeux, notamment la couleur bleue des bras
spiraux. Celle-ci est due à la présence de jeunes étoiles très massives, qui rayonnent l'essentiel de leur
énergie dans la partie bleue et ultra-violette du spectre (ce sont des étoiles très chaudes, avec une température
de surface comprise entre 20 et 30 000°C), ce qui leur vaut d'être qualifiées de géantes bleues. Bien
qu'extrêmement rares, ces étoiles sont suffisamment lumineuses (au bas mot des milliers de fois plus que
le Soleil) pour donner aux bras spiraux des galaxies cette teinte si caractéristique.
Les "petites" taches roses qui parsèment le disque galactique (plan dans lequel se trouvent
les bras spiraux) sont des nébuleuses très brillantes, appelées régions H II ("H" pour hydrogène,
"II" parce qu'il est ionisé) dans le jargon des astronomes. Elles sont rendues lumineuses par les étoiles
auxquelles elles ont donné naissance, en particulier les géantes bleues. C'est en effet à l'intérieur des
bras spiraux, régions riches en gaz et en poussières, que naissent de nouvelles étoiles.
La région centrale (le bulbe galactique), de couleur jaune, abrite quant à elle essentiellement de
très vieilles étoiles, dites de population II, qui se seraient formées il y a plus de dix milliards
d'années. Le bulbe étant plus pauvre en gaz que les bras spiraux, les naissances y sont extrêmement rares
et l'on n'y trouve (sauf exception) pas d'étoiles bleues.
Voici la galaxie NGC 3628, surnommée galaxie du Hamburger en raison
de sa forme évocatrice. Nous reconnaissons ici les régions jaune (pour le bulbe) et bleue (pour le disque)
caractéristiques de ce type de galaxies. Le fait qu'elle soit vue de profil fait bien ressortir une curieuse
bande sombre qui semble la couper en deux. Son origine, vous la connaissez : elle est due à la présence de
poussières interstellaires qui font écran à la lumière émise par les étoiles.
Beaucoup plus rares, les galaxies lenticulaires sont à mi-chemin entre les spirales et les elliptiques : elles possèdent un disque mais ce dernier est dépourvu de bras, et leur bulbe, très proéminent, est beaucoup plus développé que celui des galaxies spirales. Constituées pour l'essentiel de vieilles étoiles, elles ne contiennent pas beaucoup de gaz, si bien que l'on n'y observe que peu de naissances d'étoiles.
Nous allons poursuivre la visite de ce bestiaire par de petites galaxies aux formes indéfinies,
qualifiées pour l'occasion de galaxies irrégulières. Deux d'entre elles sont connues depuis des temps
très anciens : les Nuages de Magellan (le Petit et le Grand). Visibles depuis l'hémisphère Sud, ces
petites galaxies situées à près de 200 000 années-lumière de la Voie Lactée en sont probablement des satellites.
Contrairement aux galaxies elliptiques, elles sont très riches en gaz et en poussières et peuvent être de ce
fait considérées comme de véritables pouponnières d'étoiles.
Au delà de leurs caractéristiques morphologiques, les galaxies se distinguent également par leur
comportement. Alors que certaines sont d'un calme olympien, d'autres sont franchement caractérielles
et font parfois preuve d'une violence inconcevable : bienvenue dans le monde des galaxies actives.
Bien que la majorité des grosses galaxies abritent en leur sein un trou noir supermassif,
tant que ce dernier n'est pas alimenté par de la matière, il ne se passe rien de particulier. En revanche,
si une étoile ou un nuage de gaz passent un peu trop près de lui, ils finissent disloqués par les forces
de marée et donnent naissance à un "disque d'accrétion", dont la forme évoque plus ou moins celle d'un donut
(image ci-dessous à gauche). La matière y est alors condamnée à tomber vers le trou noir en décrivant une
trajectoire en spirale, avant d'être avalée par cet ogre de l'espace, dont l'appétit est littéralement
insatiable. Une partie de l'énergie cinétique de rotation du disque, dissipée notamment par la friction qui
s'exerce entre différentes couches de gaz ayant des vitesses différentes, est convertie en rayonnements de
diverses longueurs d'onde (infrarouges, lumière visible, ultraviolets, rayons X) : nous voilà dès lors
en présence d'un NAG, autrement dit d'un noyau actif de galaxie.
Il arrive également que le disque d'accrétion produise, perpendiculairement à son plan de rotation, une paire
d'immenses jets de gaz dans deux directions opposées, où la matière peut atteindre des vitesses folles, parfois
proches de celle de la lumière. Ces jets sont généralement visibles dans tout le spectre (des ondes radio aux
rayons gammas), mais sont surtout à l'origine de puissantes émissions dans le domaine radio, produites par des
électrons qui se déplacent autour des lignes de champ magnétique : on appelle cela un rayonnement
synchrotron.
Le jet visible ci-dessous, émis par le noyau de la galaxie M87 (encore elle !), est relativement court,
puisqu'il ne dépasse pas 5000 années lumière. Certains jets peuvent en effet s'étendre sur plusieurs centaines
de milliers d'années-lumière, le record étant proche de 1,5 millions d'al !
Il existe plusieurs types de galaxies actives, mais nous nous contenterons de les évoquer succintement :
entre les
galaxies de Seyfert
Les galaxies de Seyfert, observées pour la première fois en 1947 par Karl Seyfert, sont des galaxies
spirales dont le noyau est très compact et très brillant. Elles émettent énormément de rayonnements dans le
domaine radio.,
de types 1 ou 2, les
quasars
Les quasars tirent leur nom de l'anglais quasi-stellar radiosource, car observés au télescope,
ils présentent un aspect ponctuel, comme les étoiles. Ils comptent parmi les objets les plus éloignés qu'il soit
donné de contempler, en raison de leur éclat exceptionnel : à titre d'exemple, s'il n'était situé qu'à 30 années
lumière de la Terre, le quasar 3C273 paraîtrait aussi brillant que le Soleil (fort heureusement, il est distant
de 2,4 milliards d'al). On pense que les quasars sont des noyaux actifs de galaxies (NAG) qui tirent leur
formidable énergie de la matière tombant sur un trou noir supermassif, ce qui s'accompagne de puissants jets
de gaz expulsés par le disque d'accrétion.,
objets les plus brillants de l'univers, les
blazars
Les blazards sont des quasars dont les jets de matières sont orientés
de telle sorte qu'ils pointent plus ou moins en direction de la Terre. Leur principale caractéristique réside
dans le fait que leur luminosité peut varier d'un facteur cent d'un jour à l'autre.,
qui leurs sont apparentés, les
radiogalaxiesLes radiogalaxies sont des galaxies qui rayonnent l'essentiel de
leur énergie dans le domaine des ondes radios.
(qui peuvent inclure les catégories précédentes)... le sujet est vaste (au sens propre comme au sens figuré).
Sans oublier les galaxies à sursaut de formation d'étoiles (ou galaxies starburst), qui connaissent
- à l'instar de M 82 (ci-dessus à droite) - des "taux de natalité" (si j'ose m'exprimer ainsi) absolument hors
norme, ce qui leur vaut généralement de rayonner fortement dans les infrarouges, qu'émettent les poussières
chauffées par les étoiles naissantes. On pense que ces flambées d'étoiles, limitées dans le temps,
s'expliqueraient par les nombreuses interactions (voire collisions) se produisant entre galaxies, et qui
auraient pour effet de comprimer les nuages de gaz qu'elles contiennent, initiant de la sorte ce processus.
Nous sommes loin d'avoir fait le tour de la question, mais le temps nous est malheureusement compté...
Toutes ces galaxies ne se répartissent pas de façon aléatoire dans l'espace, mais forment au contraire d'immenses structures très hiérarchisées. Créatures grégaires, elles appartiennent - sauf rares exceptions - à des ensembles plus ou moins importants : les groupes, qui ne comportent que quelques dizaines de galaxies, et les amas, qui en contiennent plus d'une centaine, voire plusieurs milliers (la distinction entre groupe et amas reste toutefois assez floue). Comme si cela ne suffisait pas, groupes et amas s'assemblent à leur tour pour former des structures plus gigantesques encore, les superamas de galaxies. Nous allons découvrir tout cela dans le chapitre qui suit...
Astronomie pour les myopes -
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