Astronomie pour les myopes

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Mesurer la Terre - Chapitre 14

De l'ellipsoïde au géoïde

Remarque préalable : je me limiterai ici des considérations assez générales et superficielles, ne maîtrisant pas suffisamment le sujet (très vaste) pour entrer dans des détails techniques dépassant mes compétences, ce qui m'évitera de raconter des carabistouilles.

Nous l'avons vu au cours des chapitres précédents, les savants du XVIIIè siècle pensent, à juste titre, que la Terre n'est pas une sphère parfaite. Ils sont par contre convaincus que cette dernière, aplatie au niveau des pôles (ce qui est parfaitement exact), est un ellipsoïde de révolution (plus simplement un sphéroïde), c'est à dire un volume dont la surface est obtenue par rotation dans l'espace d'une ellipse orientée de telle sorte que son petit axe (son plus petit "diamètre") ne fasse qu'un avec l'axe de rotation de la Terre (je suis désolé de devoir vous infliger ça...). Si tel est le cas, cela signifie (pour des raisons de symétrie) que tous les méridiens terrestres sont strictement équivalents entre eux. Par conséquent, lorsque l'on cherche à déterminer la circonférence de la Terre (et à calculer la valeur de son applatissement), on doit aboutir au même résultat quelque soit le méridien choisi. Mais est-ce vraiment le cas ? Au début du XIX siècle, nombre de mathématiciens, et pas des moindres (Laplace, Gauss, Bessel...), commencent à exprimer des doutes à ce sujet. Et pourquoi cela ma bonne dame ? Eh bien parce que la géodésie est alors en plein essor, et que des mesures d'arcs de méridiens effectuées dans différentes régions du monde (Allemagne, Russie, Norvège, Inde...) viennent petit à petit bouleverser ce bel ordonnancement. Ces travaux montrent d'une part que les calculs permettant de déterminer de l'applatissement de la Terre aboutissent à des résultats différents selon le méridien auquel on se réfère (ce qui ne devrait pas être le cas), d'autre part qu'un pendule (fil à plomb) au repos n'indique pas toujours la "bonne" direction, c'est-à-dire celle qu'il aurait si la Terre était un ellipsoïde parfait. Voyons cela d'un peu plus près...

Si la Terre était parfaitement immobile dans l'espace et qu'en son sein les grandes masses soient réparties de façon homogène, alors elle serait sphérique et la direction verticale (matérialisée par le fil à plomb au repos) pointerait en direction du centre de la Terre, et ce quelque soit l'endroit où l'on se trouve (au pôle nord, en Belgique, sur l'équateur, en Nouvelle Zélande, ou dans le jardin de tante Simone...).

Pendule et Terre sphérique Pendule et sphéroïde

Mais on sait que la Terre ne peut être sphérique, puisqu'elle tourne sur elle-même et qu'il en résulte un léger aplatissement (très, très, très exagéré sur l'image de gauche !) lui conférant la forme d'un ellipsoïde (c'est en tout cas ce que l'on pense au XVIIIè siècle). La direction verticale, perpendiculaire à la surface de cet l'ellipsoîde, n'indique donc pas tout à fait la direction du centre de la Terre, si ce n'est au niveau des pôles ou de l'équateur. Là où les choses se compliquent, c'est que bien souvent le fil à plomb ne pointe pas exactement dans la direction prévue par la théorie...

Petite précision : quand on dit que la Terre est une sphère ou un ellipsoïde de révolution (ou je ne sais quoi d'autre), on ne prend pas en compte son relief, mais on considère que c'est la forme qu'elle adopterait si elle était totalement recouverte d'eau. Il s'agit donc toujours d'une forme purement théorique.

Aux alentours des années 1830, les mesures géodésiques se multiplient et plusieurs ellipsoïdes sont pris comme référence : l'ellipsoïde d'Everest (basé sur le méridien d'Inde), l'ellipsoïde d'Airy (qui repose sur un arc de méridien mesuré en Grande Bretagne), l'ellipsoïde de Bessel (longtemps utilisé pour les triangulations effectuées en Europe)... Mais il s'agit toujours d'ellipsoïdes ! Or, nous venons de le voir, le comportement du pendule laisse entendre que la réalité est plus complexe et qu'elle ne se laisse pas contraindre par les définitions mathématiques. Une étape importante est franchie par le mathématicien et physicien britanique George Stokes (1819-1903), spécialiste de la mécanique des fluides, qui publie en 1849 "On the variation of gravity at the surface of the earth", ouvrage dans lequel il propose une méthode permettant de déterminer la forme de la Terre en observant les anomalies de l'intensité de la pesanteur.

Une belle dinde

Petit à petit, l'idée selon laquelle la Terre présente une forme assez tarabiscotée fait son chemin. C'est ce qui amène l'ingénieur allemand Johann Benedict Listing (1808-1882) à forger, en 1873, le terme géoïde (du grec "γῆ" signifiant la Terre), qu'il défini comme étant une surface (choisie arbitrairement) où l'intensité de la pesanteur a partout la même valeur. Aujourd'hui, nous savons que si la Terre était totalement recouverte d'eau, ce géoïde présenterait des creux et des bosses s'écartant d'une centaine de mètres (en positif comme en négatif) de l'ellipsoîde dont il se rapproche le plus. Mais n'anticipons pas...

Ensuite et pour faire court (ce qui m'oblige à livrer les informations un peu "en vrac"), l'année 1864 voit la fondation, à Berlin, de la Mitteleuropäische Gradmessung (littéralement la "Mesure de l'Arc en Europe Centrale"), qui devient en 1886 l'Association Internationale de Géodésie (AIG), dont l'objectif principal consiste à étendre les réseaux de triangulation au monde entier.
En 1899, le géologue américain Clarence Dutton propose le terme "isostasie" pour exprimer l'état d'équilibre où se trouvent les roches de la croûte terrestre par rapport au manteau (plus dense) sur lequel elles "flottent" (le terme est totalement inapproprié puisque le manteau n'est pas liquide mais solide, bien que visqueux). En gros, c'est l'application du principe d'Archimède à l'échelle de la planète. De façon plus technique, cela revient à dire que l'excès de masse engendré par la présence d'une chaîne de montagnes est compensé par un défaut de masse dans le manteau, la croûte y étant alors plus épaisse. Il devient d'ailleurs vite évident que les légères déviations subies par les fils à plomb ne sont pas seulement dues à la présence de massifs montagneux, mais qu'elles résultent également de la présence, dans le sous-sol, de vastes cavités ou au contraire de zones plus denses, riches en métaux. Les géologues verront dès lors dans la géodésie un précieux allié leur permettant de sonder les entrailles de la Terre sans avoir à faire des trous partout.
Au début des années 1900, le géodésien américain John Fillmore Hayford (1868-1925) construit un ellipsoïde, dit "Ellipsoïde International", qui est adopté en 1924 comme surface de référence. Vingt ans plus tard (en 1948 pour être exact), le finnois L.Tanni publie la première carte, imprécise, du géoïde. Enfin, l'ére des satellites artificiels (qui débute dans les années 1960) nous permet d'avoir accès à un degré de précision sans équivalent dans l'histoire. Cela conduit l'AIG à adopter en 1967 l'"Ellipsoïde Normal", qui sera lui même remplacé en 1980 par un nouvel ellipsoïde de référence, le "Geodesic Reference System 1980", ou GRS 80, encore en vigueur de nos jours, même si on lui préfère généralement le World Geodetic System 1984, ou WGS 84, révisé en 2004, qui est un tantinet plus précis car il intègre l'EMG96, ou Earth Gravitational Models 1996 (géoïde de référence), utile notamment pour la navigation GPS.

A début des années 2000, une batterie de satellites (GRACE, CHAMP, LAGEOS) effectuent une multitude de relevés gravimétriques, enregistrant tout au long de leurs orbites les irrégularités du champ de gravité de la Terre. En 2009, c'est au tour du satellite GOCE de prendre la relève, avec un degré de précision nettement supérieur. Les données ainsi récoltées ayant été en partie traitées dans un centre situé à Postdam, il en résulte un modèle de la Terre parfois qualifié de "patatoïde de Postdam". Sur l'image ci-dessous, les zones bleues correspondent aux régions plus basses que l'ellipsoïde de référence, et inversement pour les zones rouges (les écarts ont bien entendu été amplifiés plusieurs milliers de fois afin d'être perceptibles).

Le géoïde


Choisie arbitrairement comme se rapprochant le plus possible de la "surface moyenne des océans" (ou SMO), que l'on prolonge par la pensée sous les continents, la surface du géoïde permet de définir l'altitude zéro. Cette dernière ne se confond pas pour autant avec la SMO, qui se voit affectée par divers phénomènes tels que les courants marins, les marées, la salinité (donc la densité) de l'eau, ou encore la présence d'anticyclones ou de dépressions, qui peuvent localement faire monter ou descendre de quelques mètres le niveau des océans. En France métropolitaine, l'altitude "zéro", fixée par le marégraphe de marseille, se trouve une cinquantaine de mètres au-dessus de l'ellipsoïde de référence, tandis qu'elle passe par un minimum (- 104 mètres) au sud de l'Inde, et par un maximum (+ 83 mètres) en Papouasie.

Pour compliquer un peu les choses, le géoïde lui-même n'a pas une forme figée dans le temps, puisque notre planète est en évolution perpétuelle : fonte des glaces (ou au contraire périodes de glaciation), variations du niveau des océans, tectonique des plaques, mouvements de convection à l'intérieur du manteau, etc... ont pour effet de modifier sur le long terme la répartition des masses aussi bien à la surface qu'à l'intérieur de notre planète. Tenter de connaître avec une précision absolue la forme de cette dernière s'avère donc au final être une quête totalement illusoire...

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