Astronomie pour les myopes

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Une histoire des constellations - Chapitre 4

Les Grecs reprennent le flambeau

Nous venons de voir que nombre de nos constellations - en particulier celles du zodiaque - trouvent leur origine en Mésopotamie. Apparus au VIè siècle avant J.-C. sous domination Perse, les signes du zodiaque, ainsi que les constellations permettant de les identifier, vont ensuite être transmis à la sphère culturelle grecque par l'entremise de voyageurs et de marchands. C'est à Eudoxe de Cnide (406 - 355 av J.-C.) que les figures mésopotamiennes du "Chemin de la Lune" doivent d'être adoptées par les Grecs, après avoir été en partie renommées afin de coller à leurs propres mythes. Ainsi, l'Homme Loué, sans que l'on sache trop comment, se transforme en Bélier, l'Epi devient une mystérieuse Vierge (peut-être s'agit-il de Diké, déesse de la Justice, ou de Céres, déesse de l'agriculture), le Scorpion perd ses pinces qui donnent naissance à la constellation de la Balance (en Mésopotamie, la Balance n'était qu'un simple astérisme, appelé "Corne du Scorpion"). Pabilsag, le Poisson-Chêvre et le Magnifique deviennent respectivement le Sagittaire, le Capricorne et le Verseau, tandis que les Queues se métamorphosent en Poissons. Quand au Taureau du Ciel, au Crabe (latinisé en Cancer), au Lion et aux Grand jumeaux, les Grecs vont les assimiler tels quels.
Notons au passage que nous devons à Eudoxe de Cnide l'un des tous premiers modèles théoriques du cosmos : la Terre y est placée au centre, entourée d'un système de 27 sphères concentriques portant le Soleil, la Lune, les planètes et les étoiles.

Certains auteurs comme Homère et Hésiode citent quelques constellations et astérismes (Grande Ourse, Bouvier, Orion, Hyades et Pléïades) dans leurs oeuvres, et l'Illiade nous apprend par ailleurs que la Grande Ourse figurait sur le bouclier d'Achille, forgé par Héphaïstos. Eudoxe est toutefois à l'origine du premier inventaire exhaustif, qu'il expose dans un ouvrage aujourd'hui disparu : les Phaenomena. Fort heureusement, tout ne fut pas perdu : nous sommes en effet redevables à un poète grec du IIIè siècle av J.-C., Aratos de Soles, de nous avoir légué l'enseignement d'Eudoxe, qu'il mit fidèlement en vers dans un poème sur l'astronomie lui-même intitulé Phaenomena !, rédigé vers 275 av J.-C. à la cours de Macédoine (la région, pas la salade).

L'histoire serait incomplète si nous n'évoquions la figure d'Eratosthène, astronome, philosophe, géographe et mathématicien né en 276 av J.-C. dans la ville de Cyrène, située dans l'actuelle Lybie. Appelé en Egypte pour assurer l'éducation du fils du pharaon Ptolémée III, il est placé en 235 av J.-C. à la tête de la bibliothèque d'Alexandrie, où il exercera la fonction de conservateur jusqu'à sa mort. Si le bonhomme est resté célèbre pour sa détermination de la circonférence terrestre (voir le dossier ''Mesurer la Terre''), il est également connu pour avoir attribué un mythe à chacune des constellations d'Eudoxe, dans une oeuvre intitulée Les Catatérismes !, oeuvre qui sera reprise au IIè siècle de notre ère par l'écrivain latin Hygin dans le De Astronomia.

Portrait de Ptolémée

Mais si les constellations d'Eudoxe sont passées à la postérité, on le doit avant tout à l'astronome et géographe Claude Ptolémée (vers 90-168 de notre ère), lequel effectue des observations astronomiques depuis la ville d'Alexandrie, en Egypte, observations qu'il intégre à son oeuvre majeure, la Syntaxe mathématique, traduite bien plus tard en arabe sous le nom d'Almageste. Y figurent la position de 1028 étoiles, ainsi qu'une liste ! de quarante-huit constellations qui nous sont parvenues inchangées, exception faite du Navire Argo, scindé en trois nouvelles constellations au XVIIIè siècle, et d'Antinoüs, qui sera supprimé en 1930.
L'Almageste nous livre également la majeure partie de ce que l'on connait de l'oeuvre magistrale de l'astronome et mathématicien Hipparque de Nicée (190-120 av J.-C.), auquel on attribue généralement l'invention de la trigonométrie.



Ce dernier, considéré comme le plus grand observateur du ciel de l'Antiquité, met de côté le modèle des sphères d'Eudoxe pour ne s'intéresser qu'aux trajectoires des corps célestes qu'il décrit à l'aide de simples combinaisons de cercles, système qui sera d'ailleurs repris (et amélioré) par Ptolémée. C'est à lui également que l'on doit le classement des étoiles en catégories de luminosité appelées magnitudes : aux plus brillantes il attribue la magnitude 1, à celles tout juste visibles à l'oeil nu la magnitude 6.
Ayant accès aux archives des scribes de l'Enuma Anu Enlil, Hipparque reprend le système babylonien de division de l'écliptique en 12 signes, qu'il gradue de 0 à 360 degrés, à raison de 30 degrés par signe, et fixe le point d'origine de l'écliptique au point vernal (matérialisé par le Soleil le jour de l'équinoxe de printemps). Il est à noter que son catalogue astronomique, que l'on pensait perdu, nous a peut-être été transmis par le biais d'un support pour le moins inattendu : l'Atlas Farnèse !.

Ptolémée, qui ne fait pas mystère de sa dette à l'égard d'Hipparque, conserve ce découpage et fait démarrer le premier signe, à savoir le Bélier, au point vernal. Viennent ensuite le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Plus de la moitié de ces constellations ayant des noms d'animaux, nous comprenons mieux l'emploi du terme "zodiaque" : il nous vient du grec ζώδιον (zôdion), diminutif de ζῶον (zôon), qui signifie animal. Signalons au passage qu'il existe entre le Scorpion et le Sagittaire une treizième constellation traversée par le Soleil au cours de l'année, le Serpentaire (Ophiucus en latin). Ce dernier n'est toutefois pas considérée comme faisant partie des signes astrologiques traditionnels, qui sont eux au nombre de douze, et sont déconnectés des constellations réelles.

Au-delà de toute considération religieuse ou mythologique, les constellations présentent un grand intérêt pratique, puisqu'elles permettent de s'orienter. C'est ainsi que dans notre hémisphère, il suffit de localiser l'étoile polaire - à l'extrémité de la queue de la Petite Ourse - pour connaître avec une bonne précision la direction du nord géographique. Cette connaissance est indispensable aux peuples pratiquant la navigation, surtout lorsque la côte n'est plus visible et qu'il n'y a pas de point de repère (la Grèce antique ne connait pas la boussole, qui ne sera utilisée pour la navigation qu'à partir du XIIè siècle). L'étoile polaire présente en outre l'immense avantage d'être visible tout au long de l'année et à toute heure de la nuit, du moins quand le ciel est dégagé. A la latitude de la Grèce, la Petite Ourse, la Grande Ourse, Cassiopée et le Dragon ont en effet ceci de commun qu'elles ne passent jamais sous l'horizon, ce qui vaut à ces constellations d'être qualifiées de circumpolaires (littéralement "autour du pôle"). Il faudrait pour être complet intégrer dans nos explications le phénomène connu sous le nom de précession des équinoxes Precession des équinoxes
Mouvement d'oscillation de l'axe de rotation de la Terre sur une période de 25 800 ans, dû à l'attraction gravitationnelle que la Lune et le Soleil exercent sur le renflement équatorial de notre planète. Actuellement, dans l'hémisphère Nord, l'axe de rotation de la Terre pointe en direction de l'étoile située au bout de la queue de la Petite Ourse, appelée pour cette raison "étoile polaire" (ou Polaris). Il y a environ 3 000 ans, c'était une étoile de la constellation du Dragon, Thuban, qui faisait office d'étoile polaire. Dans 8 000 ans, cette tâche sera dévolue à l'étoile Deneb, puis ce sera au tour de Véga, dans 12 000 ans. Et enfin, dans un peu plus de 25 000 ans... mais je vous laisse le soin de deviner.
, qui fait que ce n'est pas toujours la même étoile qui est prise comme référence pour indiquer le pôle céleste, mais nous ne sommes pas là pour chipoter.

Le plus étonnant dans tout cela, c'est que les quarante-huit constellations inscrites par Ptolémée dans son Almageste vont traverser les siècles sans aucune modification ni ajout, et être utilisées telles quelles pendant plus de 1500 ans dans le monde occidental. Profitons de ce délai pour faire un petit saut dans la ville de Bagdad, au IXè siècle. Qui sait ? Peut-être y glanerons-nous quelques informations relatives à notre sujet...

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