Astronomie pour les myopes

image bandeau

Une histoire des constellations - Chapitre 5

Des noms arabes pour les étoiles

Parmi les étoiles qui se sont vues attribuer un nom, près des deux tiers (soit environ deux cents !) le tiennent de l'arabe. Je n'en citerai que quelques-unes, parmi les plus connues : Deneb (al dhanab, "la queue"), Altaïr (al-nasr al-ta'ir, "l'aigle en vol"), Aldebaran (al-dabarän, "le suiveur"), Betelgeuse, Rigel, etc... Pour en comprendre la raison, il faut quitter la Grèce ancienne, faire un bond jusqu'au IXè siècle, et se rendre à la cour de Bagdad, où le calife Al Mamoun fait traduire directement du grec à l'arabe la Syntaxe mathematique de Ptolémée. Celle-ci prend alors, dans sa version arabe, le titre de Kitab al Megisti (le "Très grand Livre") avant de devenir, sous la plume d'historiens occidentaux, l'Almageste.
Pour l'anecdote, Al Mamoun était le fils du célèbre calife Harun al Rachid, dont la notoriété repose en grande partie sur le recueil de contes des Mille et une nuits, où il apparaît à plusieurs reprises en compagnie de son vizir Giafar. Si vous cherchez une idée de cadeau qui sorte un peu de l'ordinaire, on raconte qu'Harun offrit à Charlemagne un superbe éléphant blanc répondant au doux nom d'Abul Abbas. C'était ça ou une voiture à pédales...

Laissons Bagdad derrière nous et rendons-nous en Perse (Iran actuelle), plus présisément dans la ville d'Ispahan, à la cour de l'émir Adud ad-Daula, où nous attend l'astronome Abou-el-Hassan Abd-al-Rahman ibn Omar Al-Soufi (excusez du peu), plus connu sous le nom d'Al Sufi ou d'Azophi (903-986). On crédite généralement ce dernier de la "découverte" de la galaxie d'Andromède (il est en tout cas le premier à en faire mention) et du Grand Nuage de Magellan, nommé ainsi quelques siècles plus tard en l'honneur du navigateur portugais Fernand de Magellan. Grand connaisseur de la culture grecque, il traduit en arabe divers ouvrages d'astronomie, notamment l'Almageste, à laquelle il apporte quelques améliorations concernant la position et l'éclat des étoiles. En 964, il publie son Traité des étoiles fixes !, le fameux Kitab Suwar al-kawakib al-thabita !, dans lequel il décrit les constellations de Ptolémée et traduit en arabe les noms grecs des étoiles, tout en prenant soin d'y ajouter les noms portés par les étoiles des anciennes constellations arabes. Pour chaque constellation, il réalise deux dessins, l'un représentant la constellation telle qu'on peut la voir depuis la Terre, l'autre telle qu'on la verrait en se plaçant à l'extérieur de la voûte céleste.

Traité d'Al Sufi Traité d'Al Sufi



Bien entendu, si les savants arabes s'intéressent d'aussi près à l'astronomie, ce n'est pas pour le seul plaisir d'effectuer des traductions, mais avant tout pour des motifs d'ordre religieux. En premier lieu, il faut être capable de calculer avec précision la date du Ramadan, ce qui nécessite de disposer d'un calendrier digne de ce nom. Or justement, le calendrier islamique, encore appelé calendrier hégirien (l'hégire désigne l'épisode où le prophète Mahomet dû fuir la Mecque pour Médine), s'appuie sur l'observation de la Lune, dont les cycles sont parfaitement connus. Il se base par conséquent sur une année de douze mois de 29 ou 30 jours, soit un total se 354 jours, ce qui explique au passage le décalage progressif (de onze jours par an) de la date du Ramadan par rapport au calendrier grégorien (qui est un calendrier solaire, donc basé sur le cycle des saisons). D'autre part, l'observation des astres permet de déterminer la qibla, c'est à dire la direction de la Mecque, vers laquelle les fidèles doivent se tourner lorsqu'ils accomplissent la salat, la prière islamique, à raison de cinq fois par jour.

Au cours du XIIè siècle, le Traité des étoiles fixes, ainsi que d'autres versions arabes de Ptolémée, seront transcrites en latin par les occidentaux, en particulier par Gérard de Crémone (1114-1187), écrivain et traducteur italien alors établi à Tolède. Un peu plus tard, vers 1270, le roi Alphonse X de Castille fait dresser par les astronomes des tables (dites alphonsines) qui permettent de calculer les positions du Soleil, de la Lune et des planètes dans le cadre du système ptolémaïque. Elles sont le fruit de la mise à jour de tables plus anciennes datant du IXè siècle, les tables tolédanes, dont la traduction fut, là encore, assurée par Gérard de Crémone. La plupart des noms arabes d'étoiles proviennent de ces traductions latines de l'Almageste et des tables alphonsines. Or il semblerait qu'avant le XVIIè siècle les transcripteurs occidentaux, s'ils connaissent l'alphabet arabe, n'en maîtrisent pas toujours la vocalisation, faisant ainsi subir d'importantes déformations aux noms d'étoiles, au point parfois de leur faire perdre leur sens originel. Pour ne prendre qu'un exemple, l'étoile Denebola, figurant la queue du Lion, tire son nom de l'arabe dhanab al-asad, où asad désigne le lion, ce qui n'apparait plus dans le nom actuel de cette étoile.

Cette petite escapade en Orient nous a donc permis de comprendre pourquoi tant d'étoiles portent des noms d'origine arabe. Bien entendu, cela ne doit pas nous faire oublier que nombre d'entre elles tirent aussi leur nom du latin (Capella, Spica), du grec (Kornephoros, Procyon), mais également, ce qui est plus surprenant, du chinois (Taiyangshou, Tianyi, Xuange), du sanskrit (Ashlesha), du turc (Yildun), du copte (Khambalia), de l'aborigène (Guniibuu), de l'hawaïen (Paikauhale), du tahitien (Pipirima), et j'en oublie certainement... Vaste sujet, qui nécessiterait une rubrique à lui tout seul.

Retour à l'introduction


Astronomie pour les myopes - Mentions légales