Orion et le Scorpion

La constellation d'Orion est sans conteste l'une des plus belles du ciel et, ce qui ne gâte rien, l'une des plus faciles à identifier. L'admirer nécessite toutefois un minimum de courage car pour la découvrir il ne faut pas craindre d'affronter les rigueurs des nuits hivernales, ce qui peut en rebuter plus d'un. Voilà qui est bien joli me direz vous, mais nous ne savons toujours pas qui était cet Orion ! Vous avez mille fois raison, bonnes gens, alors trêve de bavardages, entrons sans plus tarder dans le vif du sujet. Voici l'une des versions de cette histoire ô combien édifiante.


Il y a bien longtemps (eh oui, c'est fou comme le temps passe) régnait à Thèbes un roi fort apprécié de ses sujets. Répondant au doux nom d'Hyriée, il était connu pour son hospitalité légendaire. Un soir de décembre, alors que notre bonhomme se prélassait au coin du feu, une bouteille d'ouzo à la main, on frappa à la porte. Pensant qu'il s'agissait du traditionnel calendrier des pompiers, il enfila ses pantoufles et se dirigea nonchalamment vers l'entrée, où il se retrouva nez à nez avec deux voyageurs, dont la noble prestance lui fit forte impression. Voyant là l'occasion d'ouvrir une bonne bouteille, il les invita à partager sa royale mais néanmoins modeste pitance, ce qui combla d'aise nos mystérieux visiteurs. Au cours de la conversation, l'alcool faisant son office, il finit par se confier aux étrangers : "J'suis pu un jeunot ... hips ! .... et j'ai toujours pas de marmots ... burp hips ! Et pis j'suis qu'un vieux poivrot ... hips ! Qui c'est-y qui voudrait d'moi, j'vous le demande ? Hips bouh !". Ses convives, émus par ce qu'ils venaient d'entendre, lui intimèrent l'ordre suivant : "Apporte nous, vieil homme, la peau du boeuf que tu as sacrifié pour ce repas !". Ne voyant pas du tout où ils voulaient en venir, Hyriée obtempéra et leur donna ladite dépouille, avec laquelle ils allèrent faire un tour dans le jardin. Revenant quelques instants plus tard, ils expliquèrent à Hyriée qu'après avoir ajouté leur semence à la peau de boeuf, ils l'avaient enterrée, et que de cette dernière sortirait bientôt un enfant qu'il devrait considérer comme son propre fils. Hyriée n'avait jamais entendu parler de cette technique révolutionnaire, mais il se dit qu'après tout, il n'avait rien à perdre. Ce qu'il ignorait alors, c'est que nos deux inconnus n'étaient pas de simples quidams : il s'agissait en réalité de Zeus Marcel et de son fidèle messager Hermès !

Quelques mois s'étaient écoulés depuis cette rencontre mémorable, quand le sol se mit à trembler. Il en surgit un enfant de grande taille, déjà solidement bâti pour son âge. Mis brutalement face à ses responsabilités de père, Hyriée se fit un devoir de lui trouver un nom qui ait de la gueule : il l'appela Orion ce qui, pour un demi-dieu, semblait plus approprié que Bob ou Maurice. Ce dernier, fils de la Terre (la mère des Géants, tout de même !), devint rapidement le gaillard le plus grand et le plus costaud de la région. Fort habile à la chasse et adorant traquer les bêtes sauvages, il était également très friand d'un tout autre type de gibier : ses hormones le poussaient en effet à poursuivre de ses assiduités tout ce qui portait jupon, et sans retenue aucune !

Orion poursuivant les Pléiades


C'est ainsi que les filles du Titan Atlas et de l'Océanide Pléioné, sept donzelles aussi jolies les unes que les autres, durent fuir devant l'impétuosité de notre Don Juan, qui leur courut après des années durant. La délicatesse n'était pas sa qualité première, mais voilà, personne n'osait s'interposer. Pléioné, mortifiée de voir ses filles ainsi harcelées par ce colosse lubrique, alla se plaindre auprès de notre bon Marcel Zeus qui, compréhensif, les emporta par delà les nuées et les fixa sur la voûte céleste, où elles furent métamorphosées en étoiles. Elles forment depuis ce jour un magnifique amas portant le nom de Pléiades, que l'on peut admirer lors des longues soirées hiver, à proximité de la constellation du Taureau.

Lorsque Oenopion, roi de l'île de Chios, entendit parler d'Orion et de ses talents de chasseur, un seul mot lui vînt à l'esprit : "Youpos !" (youpie en grec). Son île était en effet infestée de créatures infernales, en particulier de monstrueux serpents dont les habitudes alimentaires entraient en conflit avec celles des habitants du coin, qui voyaient leurs moutons finir dans d'autres estomacs que les leurs. L'image de marque de l'île de Chio, vous vous en doutez, avait fini par prendre du plomb dans l'aile : les touristes, pas dupes, préféraient se tourner vers d'autres destinations, moins périlleuses. Oenopion, dépassé par les événements, supplia le roi Hyriée de lui envoyer le géant Orion, auquel il fit une offre pour le moins alléchante : "Si tu débarrasses cette île des monstres qui la peuplent, je te donne la main de ma fille Méropé". Lorsqu'il aperçut la jeune femme, belle à croquer, Orion en fut littéralement bouleversé. Il accepta le marché, et se mit aussitôt à l'ouvrage, accompagné de ses chiens Sirius et Procyon. Après plusieurs semaines de dur labeur, durant lesquelles il extermina moult chimères et bêtes sauvages, il estima que sa mission était accomplie. Il regagna donc le palais royal, avec la ferme intention de réclamer ce qu'il considérait dorénavant comme son dû. Oenopion lui fit bon accueil : afin de fêter cet événement comme il se doit, il organisa un somptueux banquet, au cours duquel Orion mangea et but plus que de raison. Lorsque ce dernier vit arriver Méropé dans sa petite robe à fleurs, il ne put se contenir davantage : tel un koala devenant hystérique à la vue d'une feuille d'eucalyptus, il se précipita sur la princesse et la saisit par la taille, l'entraînant dans sa chambre sans autre forme de procès. La suite nous la devinons, aussi jetterons nous un voile pudique sur cette scène que la morale la plus élémentaire réprouve. Lorsque le roi eut vent de ces incivilités, il en fut fort marri et on le comprend ! Comment son hôte avait-il pu se comporter de la sorte ? "Par le Grand Babu, je suis furax ! Cela ne se passera pas comme ça !", lança-t-il à la cantonade. S'emparant de son épée, il se mit aussitôt à la recherche de ce scélérat, bien décidé à ne pas laisser un tel forfait impuni. Il le retrouva près du palais, étendu de tout son long dans l'herbe fraîche, dormant comme une souche. N'hésitant pas une seconde, il saisit son arme et, d'un geste à la fois prompt et précis, lui creva les yeux. Abandonnant ce dernier à son triste sort, il regagna ses pénates, la conscience apaisée : sa fille Méropée était vengée.

Orion, qui ne voyait maintenant plus grand chose, pria ses serviteurs de le conduire sur l'île de Lemnos, où vivait un certain Héphaïstos, dieu du feu et de la métallurgie. Ce dernier, assurait-il, saurait lui venir en aide. Et en effet, bien que l'entrevue avec le divin forgeron fut assez brève, elle lui redonna espoir : "Mon p'tit gars, tu peux pas rester avec ç'te trombine toute cabossée, les filles vont s'moquer de toi ! La seule façon d'rafistoler tes quinquets, c'est d'te rendre là où l'Soleil y s'lève", suggéra Héphaïstos. Afin de guider ses pas, devenus quelque peu hésitants, il lui confia un gamin nommé Céladion, qu'il jucha sur ses épaules afin de lui indiquer la route à suivre jusqu'au Soleil levant. Comme promis, Orion revint guéri auprès de ses serviteurs. Le désir de vengeance qui l'animait finissant par s'estomper, il embarqua pour la Crète, où il fut accueilli par la chasseresse Artémis, qui l'invita à chasser avec elle.

Il existe plusieurs versions de la mort d'Orion. Ne nourrissant, à titre personnel, aucun grief à son encontre, je me contenterai de vous exposer une seule d'entre elles, afin de ne le faire périr qu'une fois. Excellent chasseur, Orion avait une certaine tendance à la forfanterie, ce qui l'amena à déclarer un jour qu'aucune créature vivante ne pouvait lui échapper. Ces paroles déplurent fortement à la déesse Héra, qui fit sortir des entrailles de la Terre un énorme scorpion. Ce dernier se précipita sur le géant et lui planta son dard dans le pied, lui injectant une dose massive de toxines et d'acétylcholinestérase, ce qui eut pour effet immédiat de bloquer la fermeture des canaux sodiques des cellules excitables, entraînant une prolongation du potentiel d’action et de la dépolarisation spontanée des nerfs du système autonome. En bref : couic ! Artémis, attristée par ces événements (dans d'autres versions, elle en est l'instigatrice !), demanda à Zeus de perpétuer le souvenir de l'habile chasseur, qui depuis ce jour figure sur la voûte céleste en compagnie du Grand Chien. Le scorpion n'a d'ailleurs pas été oublié, puisqu'il occupe lui aussi une bonne place dans le firmament. Zeus fit toutefois en sorte que les deux ennemis ne puissent jamais se rencontrer : alors qu'Orion illumine le ciel d'hiver, il faut attendre les nuits d'été pour pouvoir admirer la constellation du Scorpion. Tandis que l'un se lève à l'Est, l'autre se couche à l'Ouest au même instant, rendant définitivement impossible toute nouvelle confrontation.

Et dans les autres cultures ?

Pour les Babyloniens, Orion était le "Fidèle pasteur d'Anou", tandis que les Egyptiens y voyaient une offrande destinée à Osiris.

Chez les Lacandon, indiens d'Amérique apparentés aux Mayas, les étoiles de la ceinture d'Orion étaient censées représenter un pécari à collier, alors que chez les Indiens Chimu (Pérou) elles figuraient un bandit (Alnilam) entouré de près par deux gardiens (Alnitak et Mintaka).

Pieuvre dans les îles Marshall (ne me demandez pas où c'est) et caïman au Brésil, Orion devient en Nouvelle-Zélande le canoë de Tamarereti, ancêtre mythique des Maoris.

Enfin, dans la mythologie nordique, l'étoile Rigel représente l'orteil du géant Aurvandil, que le dieu Thor brisa et lança dans les étoiles après avoir vaincu son propriétaire lors d'un combat singulier.


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