Alcmène, reine de Thèbes, et son époux Amphitryon, coulaient des jours heureux dans leur beau palais. Hélas, trois fois hélas, c'était compter sans notre bon Marcel Zeus qui, fidèle à lui-même à défaut de l'être à son épouse Héra, jeta son dévolu sur la reine dont il s'éprit à la folie. Le roi étant parti guerroyer quelques jours (il n'y avait alors rien de bien intéressant sur Netflixos), Marcel Zeus profita de cette occasion inespérée : déguisé en Amphitryon, il entra dans le palais et alla de ce pas retrouver Alcmène, avec laquelle il passa, n'ayons pas peur de le dire, une nuit de folie. Cette dernière était toute à la joie de retrouver son Phiphi, comme elle l'appelait. L'acool aidant, elle ne s'aperçut de rien, tant la ressemblance était frappante. Nous pouvons d'ailleurs le constater par nous-même sur cette photographie d'époque :
Il faut bien reconnaître que même la plus avertie d'entre les femmes serait tombée dans le panneau.
Mais lorsque le véritable Phiphi regagna le domicile conjugal, Alcmène réalisa avec stupeur qu'elle avait
été dupée. Bouleversée, elle fit part de cette mésaventure à son époux qui, fou de rage, menaça de la brûler
vive. Ne retrouvant pas son briquet, il se ravisa et ordonna qu'une enquête soit ouverte. Celle-ci fut
rondement menée et le coupable vite découvert. Quand le scandale éclata, notre pauvre Marcel n'en menait
pas large, mais le mal était fait : neuf mois plus tard, Alcmène donnait le jour à des jumeaux. Le premier,
qu'elle appela Alcide (il était supposé descendre d'Alcée, père d'Amphitryon), était en réalité le fils
de Marcel Zeus. Quant au second, Iphiclès, il était bel et bien le fils d'Amphitryon.
La déesse Héra, on s'en doute, fut d'humeur massacrante quand elle apprit la nouvelle. Ne pouvant
s'en prendre directement à son époux, elle détourna sa haine et sa colère contre Alcide, à propos duquel
elle connaissait la vérité (elle n'était pas déesse pour rien) : il fallait donc s'attendre à tout, et
bien entendu au pire !
Une nuit, alors que les bambins dormaient paisiblement, deux gros serpents - envoyés par Héra -
pénétrèrent dans leur chambre sur la pointe des pieds (dans une autre version, c'est Amphitryon lui-même
qui envoie les serpents, afin de déterminer lequel des deux jumeaux était fils de Zeus). Par bonheur,
Alcide ne dormait pas. Apercevant les immondes créatures dressées au-dessus de son berceau, il les saisit
par le cou et les secoua vigoureusement, comme il avait coutume de le faire avec son hochet. Les deux
reptiles, dont la préparation physique s'avérait insuffisante pour ce genre de mission, sentirent bien
que tout cela finirait mal pour eux. Ils tentèrent d'appeler à l'aide, comme seuls les serpents savent le
faire, mais la terrible étreinte leur coupa vite le sifflet. Alertés par tout ce tintamarre, Alcmène et
son époux se précipitèrent dans la chambre, où ils trouvèrent Alcide hilare, agitant les corps sans vie
des deux bestioles.
Ils virent là un signe de la providence : ce mouflet était destiné à accomplir de grandes choses,
ce que ne manqua pas de confirmer Tirésias, un célèbre voyant (qui, soit dit en passant, ne voyait plus
grand chose). La déesse Héra, un peu radoucie, consentit à lui donner le sein afin de le rendre immortel,
mais Alcide y mit tant d'ardeur qu'une partie du lait gicla sur la voûte céleste, donnant ainsi naissance
à la Voie Lactée.
L'éducation d'Alcide ne fut pas négligée, mais il fallait toutefois se montrer prudent : un excès
de sévérité, une remarque désobligeante sur son bulletin ou un cours un peu rébarbatif pouvaient le
mettre dans tous ses états. Son professeur de musique, dont il défonça le crâne à coups de luth, en fit
d'ailleurs les frais, mais que voulez-vous, il faut bien que jeunesse se passe. Au luth il préférait la
lutte, voilà tout !
Il atteignit bien vite l'âge de la majorité ce qui, en soit, n'est pas un exploit extraordinaire.
Afin de fêter dignement l'événement et de se faire un peu la main, il partit seul en forêt de Cithéron, où
il zigouilla un grand lion dont le seul tort était d'être amateur de moutons. On ne saurait l'en blâmer - le
mouton, c'est bon - mais le propriétaire du troupeau, le roi Thespios, eut préféré qu'il fut
végétarien. Puis, profitant de ses vacances d'été, le fringant jeune homme flanqua une bonne raclée aux
Myniens, dont les lourdes taxes ruinaient les habitants de Thèbes. Ces derniers, en guise de récompense,
lui offrirent la main de la princesse Mégarée avec laquelle il eut, pour son plus grand malheur, trois
fils. En effet, tandis que la liste de ses exploits ne cessait de s'allonger, cette vieille toupie d'Héra
- dont la magnanimité n'était pas la qualité première - le frappa de démence alors qu'il goûtait un repos
bien mérité auprès des siens. Lorsqu'il recouvra ses esprits, une vision d'horreur l'attendait : les corps
ensanglantés de sa femme et de ses enfants gisaient autour de lui. Que s'était-il passé ? Les rares témoins
de la scène lui expliquèrent avec crainte que, devenu subitement fou, il avait lui-même occis toute sa
famille. Il va sans dire qu'Alcide était anéanti, au point de vouloir se donner la mort, ce dont Thésée,
son meilleur ami, réussit à le dissuader. Suivant le conseil de ce dernier, il se rendit à Delphes,
où il consulta l'oracle après avoir copieusement déjeuné car, comme chacun le sait, la Pythie vient en
mangeant. "Dorénavant, tu ne t'appelleras plus Alcide mais Héraclès (c'est à dire "Gloire
d'Héra")", lui dit-elle. "Ah ?", répondit notre héros avec beaucoup d'à propos. Elle lui expliqua ensuite
qu'il devait impérativement faire pénitence, afin de se purifier de son crime. Pour cela, il n'y avait pas
trente-six solutions : il lui fallait se mettre au service de son cousin Eurysthée, roi de Mycènes (ou de
Tirynthe selon les sources), et lui obéir au doigt et à l'oeil. Ce dernier, profitant de la situation, lui
imposa - sur les conseils d'Héra - une liste de menus travaux propres à effaroucher les plus timorés.
Héraclès devrait en effet :
Tout cela, bien qu'étalé sur plusieurs années, fut assez fatigant, d'autant qu'il y eut divers
imprévus : il dut en outre affronter le colosse Antée, délivrer le Titan Prométhée, soulager son frère
Atlas en portant la voûte céleste, séparer deux montagnes devenues depuis les "Colonnes d'Hercule", et
encore, je ne vous dis pas tout... Lorsque toutes ces tâches furent enfin accomplies, il considéra que
le meurtre de sa femme et de ses enfants était expié, et cela seul importait à ses yeux.
D'aucuns pourraient penser qu'après de tels exploits, notre homme aspirerait à un repos amplement
mérité. Eh bien que nenni, le pépère en redemandait, et pas qu'un peu ! En quête d'une nouvelle épouse -
ce qui est déjà une aventure en soi - il tomba rapidement sous le charme de la belle Déjanire, fille
d'Oenée, roi de Calydon. L'affaire s'avéra néanmoins plus compliquée que prévu : en effet, le dieu fleuve
Achéloüs était lui aussi sur le coup, ce qui rendait le conflit inévitable. Héraclès devrait une fois de
plus faire usage de la force. Le combat qui s'ensuivit fut bref mais d'une rare violence. Achéloüs,
métamorphosé en serpent, lui décocha bien quelques coups de poing, mais il n'obtînt pas le résultat
escompté. C'est alors qu'il eut une idée de génie : il se transforma en un gigantesque taureau de combat,
mais une fois encore, Héraclès eut tôt fait de le maîtriser, lui arrachant au passage l'une de ses cornes.
Epoustouflée par cette démonstration de virilité, Déjanire se jeta dans les bras du vainqueur, qui n'était
d'ailleurs pas peu fier.
Quelques jours après leur mariage, Héraclès et Déjanire durent traverser le fleuve Evénos, aux
eaux tumultueuses. Le centaure Nessos, qui faisait payer la traversée aux voyageurs, s'empressa d'offrir
ses services aux deux tourtereaux. Il prit Déjanire sur son dos tandis qu'Héraclès traversait le cours
d'eau à la nage. Mais, v'là-t-y pas qu'arrivé au milieu du fleuve, le canasson conta fleurette à Déjanire
et tenta même de l'enlever.
Héraclès, pas très conciliant, lui décocha aussitôt une flèche empoisonnée, trempée dans le sang
de l'hydre de Lerne. Mortellement blessé, Nessos remit à Déjanire sa tunique, où se mêlaient
son propre sang et celui de l'hydre. Il lui expliqua dans un dernier souffle que celle-ci avait le
pouvoir de rendre fidèle quiconque la portait. Or voilà qu'un jour Déjanire entendit parler d'une certaine
Iole, qui visiblement ne laissait pas Héraclès indifférent (en cela, il était bien le digne fils de Marcel
Zeus). Jalouse comme il se doit en pareille circonstance, elle pensa que le moment était venu de jouer son
va-tout : elle offrit la tunique de Nessos à Héraclès, qui la revêtit aussitôt. Le poison entra alors
dans ses veines, provoquant une douleur atroce. Ne pouvant retirer la tunique, il dut se résoudre à faire
dresser sur le mont OEta un bûcher dans lequel il s'immola, afin de mettre un terme à ses souffrances.
Quant à Déjanire, elle mit fin à ses jours dès qu'elle réalisa son erreur. Héraclès, accédant à
l'immortalité au Mont Olympe, se réconcilia avec Héra dont il épousa la fille Hébé. Zeus lui réserva sur
la voûte céleste la place de l'Agenouillé, une ancienne constellation tombée en désuétude.
Dans la région de Némée régnait sans partage un énorme lion dont l'appétit était gargantuesque, et ce n'est rien de le dire : chaque jour que Zeus fait, ce dernier engloutissait boeufs et moutons à un rythme frisant l'indécence. Un véritable puits sans fond, que les éleveurs locaux devaient combler avec leurs propres bestiaux ! Mais laissons la parole à la mère Crouzy, figure de proue de l'association "Les lions dehors !" :
Avant de pousser plus avant l'étude de notre sujet, un petit rappel de géographie s'impose.
Les ignares - dont, je le rappelle, la présence sur ce site n'est que tolérée - étant généralement
incapables de localiser correctement la région de Némée, je me permets de mettre à leur disposition
la carte que voici :
Mais revenons à nos moutons : ceux-ci, invariablement, finissaient leur carrière dans l'estomac
d'Eponyme (s'il faut en croire la carte ci-dessus, il s'agit du prénom de l'animal). Des battues
furent organisées, mais le fauve, déchaîné, paraissait invulnérable : les flèches et projectiles divers
ne faisaient que ricocher sur sa peau, que rien ne semblait pouvoir entamer. Le moral des troupes en revanche,
eut été bien entamé sans la présence galvanisante de la mère Crouzy qui, oratrice hors pair, savait trouver les
mots qui vont droit au coeur :
C'est alors qu'une voix se fit entendre : "Et pourquoi ne pas faire appel à ce jeune héros qui,
dit-on, a déjà occis un grand lion du côté de Cithéron ?". Cette suggestion, fort pertinente, fut
accueuillie par un tonnerre d'applaudissements. Un émissaire fut aussitôt envoyé à la cours du roi
Eurysthée, lequel intima l'ordre à Héraclès d'aller faire le ménage dans la contrée de Némée.
Quelle ne fut pas la surprise de notre fauve, lorsqu'il vit débarquer ce jeunot qui avait
l'outrecuidance de vouloir l'affronter, et seul par dessus le marché ! On allait voir ce qu'on allait
voir ! "Roaaar !", rugit la bête cruelle. Héraclès, véritable expert en psychologie animale, prit
position devant son antre et lança d'une voix tonitruante : "Alors, il est où ce gros blaireau ?"
L'animal, vexé jusqu'au trognon (il n'aimait pas être pris pour une pomme), s'élança hors de son
repère, toutes griffes dehors. Il reçut une volée de flèches qui, rebondissant sur sa peau, ne firent
que l'énerver davantage. D'un bond prodigieux, il fut sur Héraclès, qui lui asséna un formidable coup
de massue, laquelle éclata en morceaux sous la violence du choc. Le félin, soyons honnêtes, fut quelque
peu sonné :
Notre héros n'ayant maintenant plus d'arme à sa disposition, il ne lui restait que son courage :
face à un tel adversaire, même estourbi, la situation était donc critique ! Obéissant alors à une
inspiration soudaine, il se jeta au cou du lion, qu'il étreignit de toutes ses forces. Ce dernier fut
assez déconcerté par cet élan de tendresse, pour le moins inattendu en de telles circonstances. Peu
coutumier du fait, il en eut littéralement le souffle coupé. Lorsqu'Héraclès relâcha sa terrible
étreinte, le lion gisait à ses pieds, sans vie. Il arracha l'une de ses griffes, avec laquelle il
put le dépouiller (la lame de son couteau s'avérant inefficace). C'en était fini de ce fléau, les
moutons pouvaient désormais dormir sur leurs deux oreilles. Afin que nul n'oublie cet exploit, Zeus
immortalisa le Lion de Némée en lui attribuant une constellation, visible lors des nuits d'hiver et
de printemps. Héraclès, bien entendu, n'était pas encore au bout de ses peines : d'autres travaux
l'attendaient déjà.
De toutes les immondes créatures qu'Héraclès eut à affronter, celle-ci n'était pas la moins redoutable.
Tout d'abord, elle possédait neuf têtes, dont l'une était immortelle ; cela faisait beaucoup, même pour
une sale bestiole dans son genre. Mais ce n'est pas tout : quand on lui coupait une tête, il en repoussait
deux ! Oui, oui oui, vous avez bien lu ! Un simple calcul montre d'ailleurs que si un acharné venait à
trancher sept foix de suite le même cou, il serait alors confronté à 128 nouvelles têtes, ce qui ne
faciliterait pas les choses. Et quand l'acharné se nommait Héraclès, sept fois c'était un minimum ! Fort
heureusement, au cours de cette expédition, notre héros se verrait assisté par son neveu Iolaos, dont le
dévouement sans faille s'avérerait fort précieux.
Arrivés au bord de la mare où croupissait l'hydre, nos deux compères prirent un copieux repas : ils auraient
besoin de forces pour affronter le monstre. Dès qu'Héraclès entra dans l'étang, l'eau se mit à frémir et des
têtes jaillirent de toute part, portées par de longs cous. C'était elle, aucun doute n'était permis.
Héraclès fit tournoyer son épée façon hélicoptère : moult têtes volèrent, mais celles-ci
repoussèrent aussitôt, et deux fois plus nombreuses ! Il eut alors une brillante idée : il demanda à
Iolaos de confectionner une torche et de cautériser les cous tranchés, afin qu'ils ne puissent repousser.
La méthode s'avéra efficace, mais alors qu'Héraclès règlait son compte à la toute dernière tête de l'hydre,
un énorme crabe surgi de nulle part lui pinça vigoureusement le derrière ce qui, en plus de s'avérer
fort désagréable, n'était guère poli. Notre héros se laissa tomber de toute sa masse sur le crustacé,
dont la carapace se fendit en deux. Deux monstres pour le prix d'un ! Avant de quitter ce lieu
enchanteur, Héraclès recueillit un peu du sang de l'hydre, poison redoutable, dont il enduisit
l'extrémité de ses flèches.
En souvenir de ces hauts faits, l'hydre est immortalisée sur la voûte céleste, où elle apparait
sous la forme d'une longue ligne sinueuse. Le crabe n'est d'ailleurs pas en reste : une poignée
d'étoiles, disséminées entre le Lion et les Gémeaux, forment la très discrète constellation du Cancer.
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