Héraclès, le Lion et l'Hydre

Nous allons ici tâcher de faire plus ample connaissance avec un illustre héros de la Grèce antique, le célébrissime Héraclès. Après une biographie succinte mais néanmoins rigoureuse, nous nous pencherons plus en détail sur ses deux premiers travaux, les seuls (avec le onzième) dont la voûte céleste nous ait transmis le souvenir, sous la forme de trois constellations.


Héraclès, sa vie, son oeuvre

Alcmène, reine de Thèbes, et son époux Amphitryon, coulaient des jours heureux dans leur beau palais. Hélas, trois fois hélas, c'était compter sans notre bon Marcel Zeus qui, fidèle à lui-même à défaut de l'être à son épouse Héra, jeta son dévolu sur la reine dont il s'éprit à la folie. Le roi étant parti guerroyer quelques jours (il n'y avait alors rien de bien intéressant sur Netflixos), Marcel Zeus profita de cette occasion inespérée : déguisé en Amphitryon, il entra dans le palais et alla de ce pas retrouver Alcmène, avec laquelle il passa, n'ayons pas peur de le dire, une nuit de folie. Cette dernière était toute à la joie de retrouver son Phiphi, comme elle l'appelait. L'acool aidant, elle ne s'aperçut de rien, tant la ressemblance était frappante. Nous pouvons d'ailleurs le constater par nous-même sur cette photographie d'époque :

Zeus et Amphitryon


Il faut bien reconnaître que même la plus avertie d'entre les femmes serait tombée dans le panneau. Mais lorsque le véritable Phiphi regagna le domicile conjugal, Alcmène réalisa avec stupeur qu'elle avait été dupée. Bouleversée, elle fit part de cette mésaventure à son époux qui, fou de rage, menaça de la brûler vive. Ne retrouvant pas son briquet, il se ravisa et ordonna qu'une enquête soit ouverte. Celle-ci fut rondement menée et le coupable vite découvert. Quand le scandale éclata, notre pauvre Marcel n'en menait pas large, mais le mal était fait : neuf mois plus tard, Alcmène donnait le jour à des jumeaux. Le premier, qu'elle appela Alcide (il était supposé descendre d'Alcée, père d'Amphitryon), était en réalité le fils de Marcel Zeus. Quant au second, Iphiclès, il était bel et bien le fils d'Amphitryon.
La déesse Héra, on s'en doute, fut d'humeur massacrante quand elle apprit la nouvelle. Ne pouvant s'en prendre directement à son époux, elle détourna sa haine et sa colère contre Alcide, à propos duquel elle connaissait la vérité (elle n'était pas déesse pour rien) : il fallait donc s'attendre à tout, et bien entendu au pire !
Une nuit, alors que les bambins dormaient paisiblement, deux gros serpents - envoyés par Héra - pénétrèrent dans leur chambre sur la pointe des pieds (dans une autre version, c'est Amphitryon lui-même qui envoie les serpents, afin de déterminer lequel des deux jumeaux était fils de Zeus). Par bonheur, Alcide ne dormait pas. Apercevant les immondes créatures dressées au-dessus de son berceau, il les saisit par le cou et les secoua vigoureusement, comme il avait coutume de le faire avec son hochet. Les deux reptiles, dont la préparation physique s'avérait insuffisante pour ce genre de mission, sentirent bien que tout cela finirait mal pour eux. Ils tentèrent d'appeler à l'aide, comme seuls les serpents savent le faire, mais la terrible étreinte leur coupa vite le sifflet. Alertés par tout ce tintamarre, Alcmène et son époux se précipitèrent dans la chambre, où ils trouvèrent Alcide hilare, agitant les corps sans vie des deux bestioles.

Alcide et les serpents


Ils virent là un signe de la providence : ce mouflet était destiné à accomplir de grandes choses, ce que ne manqua pas de confirmer Tirésias, un célèbre voyant (qui, soit dit en passant, ne voyait plus grand chose). La déesse Héra, un peu radoucie, consentit à lui donner le sein afin de le rendre immortel, mais Alcide y mit tant d'ardeur qu'une partie du lait gicla sur la voûte céleste, donnant ainsi naissance à la Voie Lactée.
L'éducation d'Alcide ne fut pas négligée, mais il fallait toutefois se montrer prudent : un excès de sévérité, une remarque désobligeante sur son bulletin ou un cours un peu rébarbatif pouvaient le mettre dans tous ses états. Son professeur de musique, dont il défonça le crâne à coups de luth, en fit d'ailleurs les frais, mais que voulez-vous, il faut bien que jeunesse se passe. Au luth il préférait la lutte, voilà tout !
Il atteignit bien vite l'âge de la majorité ce qui, en soit, n'est pas un exploit extraordinaire. Afin de fêter dignement l'événement et de se faire un peu la main, il partit seul en forêt de Cithéron, où il zigouilla un grand lion dont le seul tort était d'être amateur de moutons. On ne saurait l'en blâmer - le mouton, c'est bon - mais le propriétaire du troupeau, le roi Thespios, eut préféré qu'il fut végétarien. Puis, profitant de ses vacances d'été, le fringant jeune homme flanqua une bonne raclée aux Myniens, dont les lourdes taxes ruinaient les habitants de Thèbes. Ces derniers, en guise de récompense, lui offrirent la main de la princesse Mégarée avec laquelle il eut, pour son plus grand malheur, trois fils. En effet, tandis que la liste de ses exploits ne cessait de s'allonger, cette vieille toupie d'Héra - dont la magnanimité n'était pas la qualité première - le frappa de démence alors qu'il goûtait un repos bien mérité auprès des siens. Lorsqu'il recouvra ses esprits, une vision d'horreur l'attendait : les corps ensanglantés de sa femme et de ses enfants gisaient autour de lui. Que s'était-il passé ? Les rares témoins de la scène lui expliquèrent avec crainte que, devenu subitement fou, il avait lui-même occis toute sa famille. Il va sans dire qu'Alcide était anéanti, au point de vouloir se donner la mort, ce dont Thésée, son meilleur ami, réussit à le dissuader. Suivant le conseil de ce dernier, il se rendit à Delphes, où il consulta l'oracle après avoir copieusement déjeuné car, comme chacun le sait, la Pythie vient en mangeant. "Dorénavant, tu ne t'appelleras plus Alcide mais Héraclès (c'est à dire "Gloire d'Héra")", lui dit-elle. "Ah ?", répondit notre héros avec beaucoup d'à propos. Elle lui expliqua ensuite qu'il devait impérativement faire pénitence, afin de se purifier de son crime. Pour cela, il n'y avait pas trente-six solutions : il lui fallait se mettre au service de son cousin Eurysthée, roi de Mycènes (ou de Tirynthe selon les sources), et lui obéir au doigt et à l'oeil. Ce dernier, profitant de la situation, lui imposa - sur les conseils d'Héra - une liste de menus travaux propres à effaroucher les plus timorés. Héraclès devrait en effet :

  1. Tuer le lion de Némée, qu'aucune arme ne pouvait blesser
  2. Tuer l'hydre de Lerne, un monstre à plusieurs têtes
  3. Capturer la biche aux pieds d'airain de Cérynie
  4. Capturer l'énorme sanglier d'Erymanthe
  5. Nettoyer les écuries d'Augias
  6. Exterminer les oiseaux du lac Stymphale
  7. Dompter le taureau crétois de Minos, cadeau de Poséidon
  8. Capturer les juments mangeuses d'hommes du roi de Thrace, Diogène
  9. Rapporter la ceinture d'Hippolyte, reine des Amazones
  10. Voler le troupeau de boeufs de Géryon, un géant à trois corps
  11. Rapporter les pommes d'or du jardin des Hespérides
  12. Dompter le chien Cerbère et le faire sortir du Hadès
  13. Regarder tous les épisodes de l'inspecteur Derrick


Tout cela, bien qu'étalé sur plusieurs années, fut assez fatigant, d'autant qu'il y eut divers imprévus : il dut en outre affronter le colosse Antée, délivrer le Titan Prométhée, soulager son frère Atlas en portant la voûte céleste, séparer deux montagnes devenues depuis les "Colonnes d'Hercule", et encore, je ne vous dis pas tout... Lorsque toutes ces tâches furent enfin accomplies, il considéra que le meurtre de sa femme et de ses enfants était expié, et cela seul importait à ses yeux.
D'aucuns pourraient penser qu'après de tels exploits, notre homme aspirerait à un repos amplement mérité. Eh bien que nenni, le pépère en redemandait, et pas qu'un peu ! En quête d'une nouvelle épouse - ce qui est déjà une aventure en soi - il tomba rapidement sous le charme de la belle Déjanire, fille d'Oenée, roi de Calydon. L'affaire s'avéra néanmoins plus compliquée que prévu : en effet, le dieu fleuve Achéloüs était lui aussi sur le coup, ce qui rendait le conflit inévitable. Héraclès devrait une fois de plus faire usage de la force. Le combat qui s'ensuivit fut bref mais d'une rare violence. Achéloüs, métamorphosé en serpent, lui décocha bien quelques coups de poing, mais il n'obtînt pas le résultat escompté. C'est alors qu'il eut une idée de génie : il se transforma en un gigantesque taureau de combat, mais une fois encore, Héraclès eut tôt fait de le maîtriser, lui arrachant au passage l'une de ses cornes. Epoustouflée par cette démonstration de virilité, Déjanire se jeta dans les bras du vainqueur, qui n'était d'ailleurs pas peu fier.
Quelques jours après leur mariage, Héraclès et Déjanire durent traverser le fleuve Evénos, aux eaux tumultueuses. Le centaure Nessos, qui faisait payer la traversée aux voyageurs, s'empressa d'offrir ses services aux deux tourtereaux. Il prit Déjanire sur son dos tandis qu'Héraclès traversait le cours d'eau à la nage. Mais, v'là-t-y pas qu'arrivé au milieu du fleuve, le canasson conta fleurette à Déjanire et tenta même de l'enlever.

Nessos et Déjanire


Héraclès, pas très conciliant, lui décocha aussitôt une flèche empoisonnée, trempée dans le sang de l'hydre de Lerne. Mortellement blessé, Nessos remit à Déjanire sa tunique, où se mêlaient son propre sang et celui de l'hydre. Il lui expliqua dans un dernier souffle que celle-ci avait le pouvoir de rendre fidèle quiconque la portait. Or voilà qu'un jour Déjanire entendit parler d'une certaine Iole, qui visiblement ne laissait pas Héraclès indifférent (en cela, il était bien le digne fils de Marcel Zeus). Jalouse comme il se doit en pareille circonstance, elle pensa que le moment était venu de jouer son va-tout : elle offrit la tunique de Nessos à Héraclès, qui la revêtit aussitôt. Le poison entra alors dans ses veines, provoquant une douleur atroce. Ne pouvant retirer la tunique, il dut se résoudre à faire dresser sur le mont OEta un bûcher dans lequel il s'immola, afin de mettre un terme à ses souffrances. Quant à Déjanire, elle mit fin à ses jours dès qu'elle réalisa son erreur. Héraclès, accédant à l'immortalité au Mont Olympe, se réconcilia avec Héra dont il épousa la fille Hébé. Zeus lui réserva sur la voûte céleste la place de l'Agenouillé, une ancienne constellation tombée en désuétude.


Le lion de Némée

Nous allons évoquer au cours de ces quelques lignes le tout premier des douze travaux qu'Héraclès eut à accomplir, condition sine qua non de sa réinsertion dans la société. Vous découvrirez ici nombre de faits peu connus, voire passés sous silence par la mythographie officielle.

Dans la région de Némée régnait sans partage un énorme lion dont l'appétit était gargantuesque, et ce n'est rien de le dire : chaque jour que Zeus fait, ce dernier engloutissait boeufs et moutons à un rythme frisant l'indécence. Un véritable puits sans fond, que les éleveurs locaux devaient combler avec leurs propres bestiaux ! Mais laissons la parole à la mère Crouzy, figure de proue de l'association "Les lions dehors !" :

La mère Crouzy


Avant de pousser plus avant l'étude de notre sujet, un petit rappel de géographie s'impose. Les ignares - dont, je le rappelle, la présence sur ce site n'est que tolérée - étant généralement incapables de localiser correctement la région de Némée, je me permets de mettre à leur disposition la carte que voici :

Carte de la région d'Enée


Mais revenons à nos moutons : ceux-ci, invariablement, finissaient leur carrière dans l'estomac d'Eponyme (s'il faut en croire la carte ci-dessus, il s'agit du prénom de l'animal). Des battues furent organisées, mais le fauve, déchaîné, paraissait invulnérable : les flèches et projectiles divers ne faisaient que ricocher sur sa peau, que rien ne semblait pouvoir entamer. Le moral des troupes en revanche, eut été bien entamé sans la présence galvanisante de la mère Crouzy qui, oratrice hors pair, savait trouver les mots qui vont droit au coeur :

La mère Crouzy

C'est alors qu'une voix se fit entendre : "Et pourquoi ne pas faire appel à ce jeune héros qui, dit-on, a déjà occis un grand lion du côté de Cithéron ?". Cette suggestion, fort pertinente, fut accueuillie par un tonnerre d'applaudissements. Un émissaire fut aussitôt envoyé à la cours du roi Eurysthée, lequel intima l'ordre à Héraclès d'aller faire le ménage dans la contrée de Némée.
 Quelle ne fut pas la surprise de notre fauve, lorsqu'il vit débarquer ce jeunot qui avait l'outrecuidance de vouloir l'affronter, et seul par dessus le marché ! On allait voir ce qu'on allait voir ! "Roaaar !", rugit la bête cruelle. Héraclès, véritable expert en psychologie animale, prit position devant son antre et lança d'une voix tonitruante : "Alors, il est où ce gros blaireau ?" L'animal, vexé jusqu'au trognon (il n'aimait pas être pris pour une pomme), s'élança hors de son repère, toutes griffes dehors. Il reçut une volée de flèches qui, rebondissant sur sa peau, ne firent que l'énerver davantage. D'un bond prodigieux, il fut sur Héraclès, qui lui asséna un formidable coup de massue, laquelle éclata en morceaux sous la violence du choc. Le félin, soyons honnêtes, fut quelque peu sonné :

Le lion de Némée


Notre héros n'ayant maintenant plus d'arme à sa disposition, il ne lui restait que son courage : face à un tel adversaire, même estourbi, la situation était donc critique ! Obéissant alors à une inspiration soudaine, il se jeta au cou du lion, qu'il étreignit de toutes ses forces. Ce dernier fut assez déconcerté par cet élan de tendresse, pour le moins inattendu en de telles circonstances. Peu coutumier du fait, il en eut littéralement le souffle coupé. Lorsqu'Héraclès relâcha sa terrible étreinte, le lion gisait à ses pieds, sans vie. Il arracha l'une de ses griffes, avec laquelle il put le dépouiller (la lame de son couteau s'avérant inefficace). C'en était fini de ce fléau, les moutons pouvaient désormais dormir sur leurs deux oreilles. Afin que nul n'oublie cet exploit, Zeus immortalisa le Lion de Némée en lui attribuant une constellation, visible lors des nuits d'hiver et de printemps. Héraclès, bien entendu, n'était pas encore au bout de ses peines : d'autres travaux l'attendaient déjà.


L'hydre de Lerne

Les travaux s'enchaînaient et ne se ressemblaient pas. Pour le deuxième, Héraclès dut se rendre du côté de Lerne où une affreuse bestiole, planquée dans un marais, flanquait la frousse à tout le monde.

De toutes les immondes créatures qu'Héraclès eut à affronter, celle-ci n'était pas la moins redoutable. Tout d'abord, elle possédait neuf têtes, dont l'une était immortelle ; cela faisait beaucoup, même pour une sale bestiole dans son genre. Mais ce n'est pas tout : quand on lui coupait une tête, il en repoussait deux ! Oui, oui oui, vous avez bien lu ! Un simple calcul montre d'ailleurs que si un acharné venait à trancher sept foix de suite le même cou, il serait alors confronté à 128 nouvelles têtes, ce qui ne faciliterait pas les choses. Et quand l'acharné se nommait Héraclès, sept fois c'était un minimum ! Fort heureusement, au cours de cette expédition, notre héros se verrait assisté par son neveu Iolaos, dont le dévouement sans faille s'avérerait fort précieux.
Arrivés au bord de la mare où croupissait l'hydre, nos deux compères prirent un copieux repas : ils auraient besoin de forces pour affronter le monstre. Dès qu'Héraclès entra dans l'étang, l'eau se mit à frémir et des têtes jaillirent de toute part, portées par de longs cous. C'était elle, aucun doute n'était permis.

Hydre de Lerne


Héraclès fit tournoyer son épée façon hélicoptère : moult têtes volèrent, mais celles-ci repoussèrent aussitôt, et deux fois plus nombreuses ! Il eut alors une brillante idée : il demanda à Iolaos de confectionner une torche et de cautériser les cous tranchés, afin qu'ils ne puissent repousser. La méthode s'avéra efficace, mais alors qu'Héraclès règlait son compte à la toute dernière tête de l'hydre, un énorme crabe surgi de nulle part lui pinça vigoureusement le derrière ce qui, en plus de s'avérer fort désagréable, n'était guère poli. Notre héros se laissa tomber de toute sa masse sur le crustacé, dont la carapace se fendit en deux. Deux monstres pour le prix d'un ! Avant de quitter ce lieu enchanteur, Héraclès recueillit un peu du sang de l'hydre, poison redoutable, dont il enduisit l'extrémité de ses flèches.
En souvenir de ces hauts faits, l'hydre est immortalisée sur la voûte céleste, où elle apparait sous la forme d'une longue ligne sinueuse. Le crabe n'est d'ailleurs pas en reste : une poignée d'étoiles, disséminées entre le Lion et les Gémeaux, forment la très discrète constellation du Cancer.


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