Deux légendes grecques illustrent ces constellations : celle de la nymphe Callisto changée
en ourse, transmise par Eratosthène de Cyrène dans
ses Catatérismes, et celle qui fait des deux ourses les nourrices de Zeus,
version rapportée par Aratos de Soles dans un long poème en grec,
les Phénomènes.
Etant enseignant et disposant par conséquent de temps libre à ne savoir qu'en faire, j'ai décidé
de ne pas ménager ma peine et de vous les présenter toutes deux.
Voici le résumé de l'affaire : il y a maintenant perpette (voire davantage selon certaines sources),
vivait en Arcadie une jeune pucelle répondant au doux nom de Callisto, c'est-à-dire "la plus belle" en grec
ancien. Elle était en effet belle à croquer, et son avenir s'annonçait sous les meilleurs auspices. Malgré
cela, elle s'ennuyait ferme. En fait, elle en avait marre. Marre des guerres, marre des jeux olympiques,
marre de la feta aux olives, marre de tout... C'est dans cette disposition d'esprit qu'un beau jour, elle
décida de tout envoyer valser et de rejoindre la déesse Artémis et ses compagnes les nymphes, afin de partager
leur quotidien, loin de l'agitation des villes et du fracas des armes. Naturistes avant l'heure, ces divinités
féminines avaient appris à se contenter de peu, et se promenaient dans le plus simple appareil, du moins quand
la météo le permettait.
Callisto coulait enfin des jours heureux. Mais voilà qu'un jeudi après-midi, Zeus Marcel l'aperçut qui se
prélassait dans l'herbe fraîche, alors qu'il effectuait un vol de routine à basse altitude. Il n'en fallut
pas davantage pour émoustiller le gaillard : il avait beau être le roi des dieux de l'Olympe, il n'en était
pas moins homme, et ce qui devait arriver arriva... Quelques temps plus tard, alors qu'elles se baignaient
dans le courant d'une onde pure, les nymphes - qui, rappelons-le pour la clarté de cet exposé, avaient fait
voeu de chasteté - remarquèrent non sans inquiétude que le ventre de Callisto commençait à s'arrondir. Artémis,
aussitôt informée de cet événement gravissime, entra dans une grande colère, et somma Callisto de lui fournir
des explications.
Quand la terrible vérité éclata au grand jour, la malheureuse fut bannie de la communauté. Les
ennuis ne faisaient alors que commencer... Lorsqu'elle mit au monde son enfant - un fils qu'elle
prénomma Arcas - la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre, jusqu'à parvenir aux oreilles de
la déesse Héra (l'épouse de Zeus). Celle-ci, plutôt à cheval sur les principes et très chatouilleuse dès
lors qu'il est question des frasques de son mari, devint hystérique en apprenant cela. Ivre de jalousie,
elle lança une terrible malédiction sur la pauvre Callisto, qui fut aussitôt métamorphosée en ourse (une
autre version du mythe attribue à Artémis la punition infligée à Callisto). La vie sociale de cette dernière
s'en trouva dès lors grandement affectée : finies les sorties entre copines et les bals du samedi soir ! Les
nymphes, compatissantes, eurent pitié de cette pauvrette : elles prirent l'enfant et l'emmenèrent à la cour du
roi Lycaon, père de Callisto.
Les années passant, Arcas grandit en force et en adresse, jusqu'à devenir un habile chasseur.
Un jour de printemps, alors qu'il suivait les traces de quelque menu gibier, la vindicative Héra fit
en sorte que ses pas croisent ceux de Callisto. Apercevant l'ourse, il banda son arc et lui décocha une
flêche. Fort heureusement, Zeus veillait au grain : il attrappa l'ourse par la queue, la fit tournoyer
au-dessus de sa tête et la lança dans le firmament avant que le projectile ne l'atteigne. C'est d'ailleurs
la raison pour laquelle la Grande Ourse a une queue aussi longue.
Quant à Arcas, il rentrait bredouille mais devint un roi apprécié de ses sujets. Arrivé au seuil de sa vie,
il rejoignit Callisto sur la voûte céleste, où ils prirent les noms de Grande Ourse (Callisto) et de Petite
Ourse (Arcas). Dans une autre version, Arcas devient l'étoile brillante du Bouvier connue sous le nom
d'Arcturus.
Héra, que l'heureux dénouement de cette histoire rendit plus furax que jamais, persuada Poséidon d'interdire
aux deux Ourses de goûter aux joies de la baignade dans le fleuve Océan. Depuis lors, ces deux constellations
tournent inlassablement autour du pôle céleste, restant éternellement au-dessus de l'horizon.
Il y a fort longtemps, bien avant que l'homme ne fut créé, régnait sur Terre une certaine anarchie. On y rencontrait alors toutes sortes de créatures cauchemardesques, plus terribles les unes que les autres : des Cyclopes, des Hécatonchires (monstres à cent bras et cinquante têtes), des Titans, des profs de physique... tous enfants de la déesse-mère Gaïa, personnification de la Terre. Le Titan Cronos, plus roublard que les autres, finit par devenir le chef de cette bande de bras cassés, non sans avoir pris soin de détrôner son père, le terrible Ouranos. Lorsqu'il atteignit l'âge de 18 ans, sa mère Gaïa lui fit cette révélation : "Les enfants, tu verras, c'est bien tant qu'ils sont tout petits, mais ils finissent par grandir, et alors les ennuis commencent... Tout ça pour te faire comprendre, mon gros lapin en sucre d'orge, que l'un d'entre eux causera ta perte." Abasourdi par ce qu'il venait d'entendre, Cronos élabora - sur les conseils de Gaïa - un stratagème fort subtil : chaque fois que son épouse Rhéa lui donnerait une progéniture, il la dévorerait (la progéniture, pas Rhéa). Ainsi en fut-il de ses cinq premiers enfants.
Bien qu'étant très large d'esprit, et comprenant les arguments avancés par son époux, Rhéa n'en
finit pas moins par se lasser de ce comportement un peu fruste. Lorsqu'elle mit au monde son sixième
bambin, sa décision était prise : celui-ci ne finirait pas dans l'estomac de ce vieux schnock ! Fine mouche,
elle mit au point un subterfuge pour le moins audacieux : quand Cronos lui réclama l'enfant, elle lui
remit une pierre enveloppée dans des langes. Peu réputé pour la finesse de son palais, ce dernier n'y
vit que du feu : il avala la pierre, poussa un rot tounitruant, et retourna à ses occupations comme si
de rien n'était. Quant à l'enfant, qu'elle appela Zeus Marcel, elle le confia à Néda, une nymphe qui
avait l'habitude de garder les marmots. Cette dernière emmena le petit Marcel en Crête, île peu fréquentée
en ce temps là, et le planqua dans une grotte perdue dans les montagnes. Adrastée, une de ses copines nymphe,
lui tînt lieu de nounou, tandis qu'une brave chêvre - Amalthée - eut l'insigne honneur de l'allaiter.
Devenu grand, Zeus renversa son père - comme prévu - et l'obligea à régurgiter ses cinq frères et soeurs, qui
commençaient à se sentir à l'étroit dans l'estomac paternel. Reconnaissant envers ses bienfaitrices, il dédia
à Néda et Adrastée les deux constellations que nous appelons Grande Ourse et Petite Ourse. Tout près d'elles,
une étoile très brillante - Capella - figure la chêvre Amalthée, posée sur l'épaule du Cocher.
Pratiquement toutes les civilisations ont remarqué dans la constellation de la Grande Ourse la présence de cet astérisme si particulier constitué de sept étoiles. Comment l'ont-elles interprété ? Voyons cela d'un peu plus près.
Les Romains voyaient dans ces étoiles sept boeufs de labour (septem triones) tournant perpétuellement autour de l'axe du monde ; voilà l'origine du terme septentrional. Il est à noter que nous devons également le mot arctique à la Grande et à la Petite Ourses, puisqu'en grec ancien "ours" se dit ἄρκτος (árktos).
Tandis que chez les Babyloniens, ces sept étoiles représentaient un chariot employé pour transporter les vivres des soldats, les Chinois y ont vu "Beidou" (le "Boisseau du nord"), instrument servant à mesurer des quantités de céréales.
Les Mongols de Sibérie l'identifiaient tantôt à sept vieillards ou à sept voleurs, tandis que les Kirghiz les considéraient comme les sept gardiens du cercle du pôle.
En Amérique du nord, pour certaines tribus indiennes (Cherokees, Iroquois, Algonquins...) le quadrilatère de l'astérisme représentait une ourse chassée par des indiens. Chez les indiens Chumash, il s'agissait de sept jeunes garçons changés en oies. Les Sioux quant à eux y reconnurent un putois à longue queue...
Aujourd'hui, aux Etats Unis, cet astérisme est appelé la "Grande Louche" (the "Big Dipper"), tandis qu'au Royaume-Unis il est considéré comme étant une "Charrue". En France, pays porté sur la gastronomie, nous y voyons une ''Grande Casserole''.
Les Egyptiens le considéraient parfois comme le Char d'Osiris, ou encore comme la cuisse d'un taureau.
Chez les Arabes, elle évoque le cercueil de Nash suivi de ses trois filles, les quatre étoiles formant le quadrilatère représentant le cercueil.
Dans le même ordre d'idée, le monde chrétien l'appelait le "Cercueil de Lazare", les
trois étoiles de la queue représentant Marthe, Marie et Madeleine.
Lors de la période médiévale, on y voit parfois le "Chariot du roi Arthur" (chez les druides), le
"Chariot d'Odin", le "Chariot de David", ou le "Chariot d'Elie" selon le contexte culturel.
Pour les Aztèques, le Grand Chariot représentait le buste et l’unique jambe du dieu Tezcaltipoca, l’autre ayant été perdue lors de son combat contre le terrible monstre Cipactli (que tout le monde connait !).
Enfin, pour clore cette liste (non exhaustive), voici une légende qui nous vient des indiens Micmac (Canada). Les quatre étoiles formant le quadrilatère représentent une ourse, dont la viande est destinée à être cuite dans une marmite figurée par la petite étoile Alcor (le compagnon de Mizar). La Couronne Boréale, petite constellation sise à côté du Bouvier, désigne sa tanière. Dès l'arrivée du printemps, lorsque l'ourse sort de l'hibernation, sept chasseurs (trois d'entre eux sont représentés par les étoiles de la queue de la Casserole, les quatre autres par des étoiles appartenant au Bouvier) se lancent à sa poursuite et la traquent durant tout l'été. A la fin de la saison, alors que l'ourse est plus basse dans le ciel (vers l'ouest), les quatre chasseurs de la constellation du Bouvier abandonnent la poursuite (les étoiles auxquelles ils sont associés passent alors sous l'horizon), mais les trois autres ne lâchent pas l'affaire : ils parviennent à rattrapper l'ourse et à lui règler son compte. Mortellement blessée par une flèche, cette dernière se laisse alors tomber sur le dos, éclaboussant de son sang les feuilles des arbres (notamment celles de l'érable), qui se parent alors des couleurs rouges de l'automne. Les chasseurs peuvent enfin la faire cuire dans leur marmite et se remplir la panse ! Mais notre histoire ne s'arrête pas là : durant l'hivers, l'esprit de l'animal s'incarne dans une autre ourse, qui sera à son tour prise en chasse dès son réveil, et ce dans un perpétuel recommencement.
Il existe bien d'autres histoires relatives à cette belle constellation, mais il faut savoir
être raisonnable... Un dernier point toutefois avant de la quitter : l'Ourse serait arrivée en Amérique
du Nord dans le bagage des Asiatiques il y a plus de dix mille ans, via le détroit de Béring, ce qui
en ferait l'une des plus anciennes création de l'humanité.
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