Parmi les travaux qu'Héraclès se vit imposer par Eurysthée, le onzième semblait relever de la
simple promenade de santé : il s'agissait pour notre héros d'aller piquer trois pommes dans un jardin.
Rien de bien folichon me direz-vous, à ceci près : les fameuses pommes étaient en or, et il s'agissait
du jardin des Hespérides, cadeau de mariage de Zeus à son épouse Héra. D'aucuns penseront qu'une telle
mission ne présentait guère de difficultés : cueillir trois malheureuses pommes, fussent-elles d'or, ma
tante Simone aurait pu relever le défi. C'est vrai, mais le diable est parfois dans les détails, et c'est
justement là que le bât blesse. Le Jardin des Hespéride était en effet sous bonne garde : Ladon, un énorme
dragon à cent têtes, empéchait quiconque d'y entrer (ou d'en sortir, ça dépend). Pour couronner le tout,
Héraclès n'était pas vraiment une flèche en géographie : il ignorait totalement où se trouvait ce jardin.
Il dut par conséquent s'en remettre aux bons offices des naïades, lesquelles lui fournirent l'adresse d'un
certain Nérée - dieu marin surnommé le "Vieillard de la mer" - qui connaissait son emplacement. Enfin,
en principe...
Il fallait donc se rendre chez ce fameux Nérée, afin de lui soutirer quelque information. Après avoir
parcouru le littoral marin en long en large et en travers, Héraclès finit par apercevoir le zigoto, étendu
de tout son long sur le sable fin. C'était l'heure de la sieste et le pépère roupillait à poings fermés,
bercé par le bruit des vagues. Héraclès, en fin diplomate qu'il était, s'approcha à pas de loup, lui sauta
sur le paletot et l'étreignit de ses bras musculeux.
Nérée n'appréciait que modérément ce genre de farce. Bien qu'il ne fut plus tout jeune, il pétait
la santé : il distribua bourre-pifs et coups de tatanes, mais lorsqu'il sentit ses forces diminuer, il
déclara forfait et accéda à la demande d'Héraclès.
Sur les conseils de Nérée, Héraclès embarqua pour la Lybie où, il faut bien le dire, il reçut un accueil plutôt mitigé. A peine était-il arrivé à destination, qu'un type énorme, à la mine pas tibulaire mais presque, lui barra la route. Il s'appelait Antée, et prétendait lui interdire l'entrée du pays. Héraclès dut une fois encore faire preuve de diplomatie. Il se jeta sur le colosse et lui fit mordre la poussière. Seulement voilà : après chaque assaut le gaillard se relevait, et plus fort qu'avant ! Il y avait un mystère là-dessous, qu'Héraclès finit par éclaircir : Antée, fils de Gaïa (la Terre), reprenait des forces dès qu'il entrait en contact avec le sol.
Héraclès trouva la parade : dans un suprême effort, il souleva ce malotru et, tout en le maintenant
en l'air, l'étouffa sans autre forme de procès. La voie était enfin libre !
Ses pérégrinations le menèrent ensuite en Egypte, où aucun incident majeur ne fut à signaler,
si ce n'est un léger accrochage avec Busiris, roi de Memphis, qui eut l'idée saugrenue de le capturer
afin de l'offrir en sacrifice à Poséidon. Bien entendu, avec un diplomate de la trempe d'Héraclès, le
malentendu fut vite dissipé. Quittant l'Egypte, il traversa l'arabie et repartit vers le Nord, jusqu'à
atteindre le mont Caucase, étape incontournable de sa longue quête.
Alors qu'Héraclès approchait du sommet du mont Caucase, il distingua une forme
sombre enchaînée à un gros rocher. C'était le Titan Prométhée, à propos duquel Nérée laissa entendre
qu'il serait sans doute en mesure de l'aider à trouver le Jardin des Hespérides. Il fit donc mine de
s'intéresser à lui, histoire de l'amadouer, et tenta d'engager la conversation :
"Alors, comment va la santé ? ", s'enquit-il nonchalamment.
Prométhée, dont la vie sociale se trouvait alors réduite à sa plus simple expression, était trop content
de trouver un interlocuteur compatissant :
"Sniff ! J'ai pas été gentil, j'ai donné le feu aux hommes, sniff... Alors Zeus y m'a puni. L'est
trop méchant. Sniff bouh ! Et pis y'a un gros oiseau y fait rien qu'à m'embêter !", gémit-il.
Et c'était vrai : tous les jours, à heure fixe (même le dimanche), l'aigle de Zeus venait lui
dévorer le foie, qui repoussait ensuite pendant la nuit (ben oui, c'est comme ça chez les Titans).
Héraclès consulta sa montre : l'heure fatidique approchait. Il enfila sa tenue de camouflage et se mit à
l'affût. Le féroce volatil, ponctuel, ne se fit d'ailleurs pas attendre longtemps. D'un geste précis,
notre héros lui décocha une flêche, qui lui cloua le bec pour de bon. Puis, dans un élan de pur altruisme,
il délivra Prométhée.
Zeus, qui l'avait condamné pour l'éternité, consentit à le laisser partir à
condition qu'il porte une bague faite du métal de ses chaînes et sertie d'une pierre du Caucase, afin de
ne pas se parjurer.
Prométhée, enfin libre, ne se sentait plus de joie. Reconnaissant envers son libérateur, il
consentit à lui fournir quelques tuyaux : "Va voir mon frère Atlas. L'est trop trop fort ! Y va flanquer
une raclée à ton dragon !
Héraclès, infatigable, poursuivit donc son chemin, à la recherche du Titan Atlas.
Après bien des jours de marche, il finit par atteindre son objectif, le bout du monde, au sommet duquel
était juché le colosse, impavide, la voûte céleste reposant sur ses larges épaules. Prométhée lui ayant
fortement déconseillé d'affronter lui-même le dragon d'Héra, il jugea plus sage de refiler la patate
chaude à Atlas (qui n'était pas routier, je tiens à le préciser). La partie allait être serrée, Héraclès
le savait. Fin psychologue, il aborda le cosmophore avec prudence, chaque mot devant être pesé avec le
plus grand soin, il en allait de la réussite de sa mission :
"Salut mec, ça boume ? ", demanda-t-il d'un air détaché.
Le Titan, qui ne recevait plus guère de visites, était ravi de pouvoir entamer un brin de causette :
"Bof bof, j'en ai plein le dos", répondit-il.
Héraclès, se sentant mis en confiance par ce bref échange, lui fit alors cette proposition alléchante :
"Je veux bien te remplacer cinq minutes, si tu vas me cueillir trois malheureuses pommes d'or dans
le Jardin des Hespérides".
Atlas vit là une occasion inespérée de recouvrer sa liberté : il accepta l'offre avec plaisir,
non sans arrière pensée. Lorsqu'Héraclès prit place sous la sphère céleste, il se sentit écrasé
par l'énorme charge. Tout bien pesé, ce choix pouvait s'avérer lourd de conséquences. Et si Atlas ne
revenait pas, qu'adviendrait-il ? Mais ce dernier fut bientôt de retour, rapportant les précieuses pommes.
Seulement, au moment de reprendre sa place, il décréta qu'il irait les remettre lui-même à Eurysthée.
L'instant était critique, mais Héraclès, jamais pris de cours, lui tint à peu près ce langage :
"Que vous êtes joli, que vous me semblez beau ! Comparé à vous je ne suis qu'un rigolo. La voûte
céleste n'est pas stable sur mon dos, pourriez-vous me montrer la bonne position, avant que tout ne parte
à vau-l'eau ?"
Flatté par ces paroles, Atlas remplaça Héraclès sous la voûte, et lui montra la pause, fier comme
artaban. Bien entendu, notre héros ramassa les fruits et prit ses jambes à son cou, abandonnant Atlas à
son triste sort. Quelques jours plus tard, il déposa les pommes devant Eurysthée qui, craignant de s'attirer les
foudres divines, les fit remettre à Athéna, qui les rendit à Héra. Cette dernière, apprenant que son dragon
avait failli, devint folle de rage. Elle le saisit par la queue, le fit tournoyer au-dessus de sa tête et
l'envoya sur la voûte céleste où il resta cloué. Depuis ce jour, le Dragon tourne sans fin autour
de l'axe du monde.
Les Babyloniens voyaient dans les sinuosités cette constellation la déesse-serpent Tiamat, personnification du chaos et de l'océan primordial.
Pour le monde chrétien, il s'agit bien entendu du dragon terrassé par saint George avec son épée Ascalon.
Cette histoire présente d'ailleurs nombre de similitudes avec celle d'Andromède, puiqu'il y est question d'une
jeune fille livrée en pâture à un dragon par son père, le roi de Lybie, afin de conjurer la malédiction qui
s'est abattue sur son pays.
Astronomie pour les myopes -
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