Cela fait maintenant près d'un siècle et demi que la littérature de science fiction nous abreuve de récits effrayants décrivant l'arrivée sur Terre d'extraterrestres belliqueux animés de mauvaises intentions et, ce qui est pire encore, ne parlant pas un mot de français. Jaloux comme des poux, ils trouvent notre planète plus jolie que la leur et tentent d'en prendre possession. Parfois même ils débarquent - comme dans le quatre-vingt neuvième épisode (intitulé "To serve man") de la série culte The Twilight Zone - avec des bouquins de recettes interplanétaires, ayant la ferme intention de nous faire figurer sur leur menu. Généralement, ces affreux jojos - que les auteurs de SF prennent un malin plaisir à utiliser pour dénoncer les travers des humains - nous arrivent tout droit d'une petite planète couleur rouille, proche voisine de la notre et moitié moins grande. Vous l'aurez bien sûr reconnue...
Dès l'antiquité Mars est plutôt mal vue, en raison de sa couleur évoquant un peu trop celle du sang. Pour les Babyloniens (il y a près de 3000 ans), elle est associée au terrible Nergal, dieu de la guerre et de la destruction qui un beau jour s'enflamma pour la ténébreuse Ereshkigal, déesse des enfers. Il faut dire qu'en ce temps là, les planètes occupent une place très importante dans la société : elles sont en effet considérées comme les messagères des dieux. Observées avec la plus grande attention, chacun des aspects sous lesquels elles se montrent (couleur, position...) est sujet à interprétation. La planète rouge annonçant le plus souvent conflits, épidémies, famines... il n'est pas étonnant qu'elle ne soit guère appréciée. Dans la Grèce antique, sa réputation est tout aussi déplorable puisqu'une fois encore elle est assimilée au dieu de la guerre Arès (qui devient Mars chez les romains), un gaillard peu fréquentable qui sème la désolation partout où il passe.
Ce n'est qu'au tout début du XVIIe siècle que seront effectuées les premières observations à l'aide d'instruments d'optique (lunettes ou télescopes), révélant enfin quelques détails de sa surface restés jusque là invisibles (à l'oeil nu, on ne voit qu'un point).
En 1636, l'astronome et avocat italien Francesco Montana fait bien mention
de quelques taches, mais la qualité de sa lunette laisse tellement à désirer que l'on se demande encore
ce qu'il a bien pu voir dans un tel instrument. Il faut attendre une vingtaine d'années (1659 pour ceux
qui aiment les dates) avant que l'inventeur de l'horloge à balancier, à savoir le mathématicien, astronome
et physicien néerlandais Christian Huyghens (1629-1695), ne mette en évidence des régions de couleurs
différentes, en particulier une zone sombre qui pourrait correspondre à ce que l'on connait aujourd'hui sous
le doux nom de
Syrtis Major
Syrtis Major est une formation d'albédo,
c'est à dire une zone étendue qui contraste fortement avec les régions environnantes, à l'instar des
mers lunaires. Très sombre, elle correspond à l'emplacement d'un ancien volcan bouclier..
Retournons en Italie, et allons à la rencontre de Giovanni Domenico Cassini
(1er du nom), astronome et mathématicien à l'Université de Bologne. Observateur doté
d'une vue excellente, il démontre grâce à la grande tache rouge de Jupiter que la planète géante
fait un tour sur elle-même en un peu moins de dix heures, de quoi donner le vertige. Se tournant
ensuite vers la planète Mars, il met en évidence la présence de calottes polaires, observation
confirmée par son neveu Giacomo Maraldi, lui-même astronome, qui note par ailleurs
que la taille de ces dernières évolue au rythme des saisons martiennes.
Tous ces travaux (et bien d'autres encore...) finissent par asseoir sa réputation, assez en tout
cas pour attirer l'attention de notre ministre Colbert, qui l'invite à venir s'installer à Paris.
En 1669, Cassini est reçu membre de la toute jeune Académie des sciences, et placé par Louis XIV à la
tête de l'observatoire de Paris, qui se verra dirigé par quatre générations de Cassini (jusqu'en 1793) !
Il va découvrir quatre nouvelles lunes à Saturne (Rhéa, Thétys, Dioné et Japet), ainsi que la division des
anneaux de Saturne à laquelle il laissera son nom.
Il ne s'arrête d'ailleurs pas en si bon chemin, puisqu'en 1672 il réussit à déterminer
la parallaxe
!
de Mars, ce qui l'amènera à conclure que la distance
de la Terre au Soleil est de l'ordre de 130 millions de km (la valeur actuelle est de 149,6 millions
de km), soit beaucoup plus que ce que l'on pensait à l'époque.
C'est dans ce contexte riche en avancées scientifiques que Bernard le Bouyer de Fontenelle écrit ses Entretiens sur la pluralité des mondes, publiés en 1686. Cette oeuvre, qui se veut avant tout une fiction divertissante, se présente sous la forme d'un dialogue entre un philosophe et une Marquise se plaisant à imaginer d'autres mondes et se demandant à quoi pourraient bien ressembler leurs habitants. Curieusement, la planète Mars y est traitée avec un total mépris puisque, selon Fontenelle, elle "ne vaut pas la peine qu'on s'y arrête".
Avec une approche un peu différente, Christian Huyghens se laisse aller lui aussi,
dans un ouvrage intitulé Cosmotheoros (mais où vont-ils chercher des titres
pareils ?), publié en 1698 à titre posthume, à diverses conjectures concernant la vie sur d'autres
planètes, qu'il imagine peuplées d'habitants semblables aux humains.
Le philosophe et scientifique suédois Emmanuel Swedenborg (1688-1772) nous livre
quant à lui quelques informations pour le moins déconcertantes. Occultiste notoire prétendant
communiquer avec l'au-delà, il affirme sans ambages que la planète Mars est peuplée d'anges et
d'esprits, rien que ça... Toujours est-il que tout ce bric à brac d'idées plus ou moins saugrenues
allait contribuer à répandre l'idée que, peut-être, l'Homme n'était pas tout seul dans ce vaste
univers. Mais revenons à nos moutons martiens.
Il faut attendre le XIXe et le perfectionnement des télescopes pour voir
la qualité des travaux de cartographie planétaire s'améliorer de façon significative. En 1830,
deux astronomes allemands, Wilhelm Beer et Johann Henrich Mädler,
étudient pendant près de 10 ans la surface de Mars à l'aide d'une petite lunette, ce qui leur
permet de dresser en 1840 la première carte digne de ce nom, sur laquelle figurent une
douzaine de taches sombres auxquelles ils se contentent d'attribuer des lettres de l'alphabet.
Nous devons à un astronome jésuite, le père Angelo Secchi (1818-1878),
pionnier de la
spectroscopieLa spectroscopie est une branche des
sciences qui étudie le rayonnement émis par les astres, afin de déterminer leur composition
chimique, leur vitesse radiale, leur champ magnétique...
Spectre d'une étoile de type K,
l'emploi d'un mot anodin qui allait pourtant bien vite déchaîner les passions.
En mai 1858, il décrit une large tache triangulaire sombre qu'il pense être une vaste étendue
d'eau (il s'agit une fois de plus du plateau de Syrtis Major), à laquelle il donne le nom de
"Canal de l'Atlantique". Or en italien, le terme "canale" prête à confusion, puisqu'il
peut désigner aussi bien un chenal naturel qu'un canal artificiel, laissant ainsi le champ
libre aux interprétations les plus diverses, l'imagination débridée de certains observateurs
faisant le reste...
En 1869, l'astronome anglais Richard Anthony Proctor dessine une carte de Mars à partir des observations réalisées par son compatriote William Rutter Dawes. Cette dernière comporte une quarantaine de formations nommées en l'honneur d'astronomes ayant apporté leur contribution à l'étude de la planète rouge ; les régions de couleur jaune-orangé y sont considérées comme des continents ou des déserts tandis que les zones sombres se voient attribuer des noms à connotation maritime (océan, mer, baie...). Ce travail permet d'ailleurs à Proctor de déterminer la période de rotation de Mars (environ 24h 37 min) avec une précision de l'ordre du dixième de seconde !
C'est toutefois un italien, l'astronome Giovanni
Schiaparelli, qui allait laisser l'empreinte la plus profonde dans cette histoire. Nanti
d'un diplôme d'ingénieur hydraulicien décroché en 1854, celui-ci opte finalement pour un poste à
l'observatoire de Brera (l'un des quartiers historiques de la ville de Milan), où il travaillera
quarante années durant. Il y aborde des sujets divers et variés, comme la détermination des périodes
de rotation de Mercure et Vénus, ou l'origine des étoiles filantes. On lui doit notamment
d'avoir démontré en 1866 que l'essaim des
PerséidesLes Perséides sont une pluie d'étoiles filantes
visible chaque année entre le 20 juillet et le 25 août, avec un pic d'activité aux alentours du
12 août, ce qui leur vaut le nom de "larmes de Saint Laurent", la Saint Laurent ayant lieu quelques
jours auparavant.
est dû au passage de la comète
Swift-Tuttle.Comète de courte période découverte indépendamment par Lewis
Swift et par Horace Tuttle, en 1962. Son dernier passage au périhélie (point le plus proche du Soleil),
en 1992, permit de connaître sa période avec précision, à savoir 130 ans.
Celle-ci a "semé" derrière elle des millions de petits cailloux, responsables d'une pluie d'étoiles
filantes (attendues lors des fameuses "Nuits des étoiles") lorsque la Terre croise son orbite, ce
qui se produit chaque année aux alentours du 12 août.
En 1877, il profite de
l'oppositionL'opposition correspond au moment où la Terre
se trouve entre le Soleil et un astre quelconque (planète, astéroïde,...) dont l'orbite est
extérieure à celle de la Terre. C'est aussi la période où les planètes externes offrent les
meilleures conditions d'observation, puisqu'elles passent alors au plus près de la Terre.
de Mars pour l'étudier en détails et établir une carte précise de sa
surface. Son système nerveux risquant d'être soumis à rude épreuve par ces observations nocturnes
répétées, il va s'abstenir de toute substance pouvant lui troubler les sens ou obscurcir son
esprit : pas d'alcool, pas de café, pas même un épisode de Game of Thrones, c'est pour dire ! Encore
un point concernant notre homme : Schiaparelli est daltonien. S'il a du mal a percevoir certaines
nuances de couleurs, cela lui permet par contre de focaliser son attention sur des détails extrêmement
fins. Ce léger "défaut" de fabrication allié à un indéniable talent d'observateur lui permettent
d'élaborer ce qui est alors considéré comme la carte la plus détaillée de la planète Mars, sur
laquelle figurent des régions claires et sombres qu'il nomme respectivement "continents" et "mers"
(sans toutefois statuer sur leur véritable nature). Y apparaissent également une multitude de lignes
qu'il appelle canali (chenaux), reprenant le terme employé par son
compatriote Angelo Secchi.
Ces canaux, qui s'étendent parfois sur des milliers de kilomètres, il leur donne des noms
de cours d'eau terrestres, qu'il tire parfois de la Bible ou de la mythologie : c'est ainsi que
figurent sur sa carte le Nil, l'Oronte, le Jourdain, le Phison, le Léthé, pour n'en citer que
quelques uns... Bien qu'estimant qu'il y a de la vie sur Mars, l'astronome italien est plutôt enclin à
penser que ces canaux sont d'origine naturelle : "Nous sommes inclinés à les croire produits par une
évolution de la planète, de la même façon que nous avons sur Terre la Manche ou le canal du Mozambique".
Les avis seront généralement plus tranchés outre-manche, la presse anglo-saxonne laissant entendre qu'il
s'agit de structures artificielles ; il faut dire que cette époque voit la construction des grands canaux
de Suez et de Panama, et le rapprochement avec la planète Mars peut être tentant.
Schiaparelli ne va pas tarder à refaire parler de lui puisqu'en 1882 il prétend voir certains canaux se dédoubler (je rappelle qu'il ne buvait alors pas d'alcool !), phénomène auquel il donne le nom de gémination. Qu'à cela ne tienne ! L'explication sera fournie par l'astronome américain William Pickering, qui n'y voit autre chose que la manifestation de l'évolution de la végétation bordant les canaux, au gré des saisons martiennes. Précisons que ce dernier, convaincu de l'existence d'habitants sur la planète mars, fera en 1892 une curieuse découverte : les régions que l'on prenait pour des mers ou des océans sont traversées par les canaux ! Là non plus Pickering n'est pas à cours d'explication : ces étendues que l'on prenait pour des mers sont en réalité des forêts ou de vastes champs cultivés.
Exception faite de toutes ces lignes imaginaires, qui ont depuis été retirées de nos cartes, la plupart des noms attribués par Schiaparelli aux grandes formations martiennes (Hellas, Cydonia, Chryse, Utopia...) sont toujours en vigueur aujourd'hui. La notoriété de Schiaparelli doit d'ailleurs beaucoup plus à cette histoire de canaux qu'à ses autres travaux. Petit clin d'oeil ironique adressé à un ancien ingénieur hydraulicien ?
Autre figure marquante de cette époque, l'incontournable Camille Flammarion (1842-1925), infatigable vulgarisateur des sciences et fondateur de l'observatoire de Juvisy-sur-Orge.
Passionné d'astronomie, il trouve une place d'élève astronome à l'observatoire de Paris mais est congédié par son directeur, Urbain Le Verrier (le "découvreur" de Neptune), suite à la publication en 1862 de son livre, La pluralité des mondes habités, dans lequel il avance l'hypothèse de l'existence de vies extraterrestres, jetant ainsi le discrédit sur sa profession. Bref, la honte... S'intéressant de près à l'affaire des canaux martiens, il n'hésite d'ailleurs pas à affirmer qu'étant donné l'ampleur de ces constructions, la civilisation martienne doit nécessairement être supérieure à la notre : "les variations considérables observées dans le réseau de canaux témoignent que cette planète est le siège d'une vitalité énergique... Nous pouvons espérer que puisque le monde de Mars est plus ancien que le notre, l'humanité là-bas sera plus avancée et plus sage." (La planète mars et ses conditions d'habilité, 1909).
Pour la petite histoire, n'oublions pas que le savant homme est un fervent adepte du spiritisme (qu'il considère comme une science) et pratique les tables tournantes. Il est d'ailleurs l'auteur d'un ouvrage - jamais publié - consacré aux fantômes, ce que sa veuve tentera d'occulter afin de ne pas discréditer ses autres travaux. Il subit dans ce domaine l'influence de son ami Hippolyte Léon Rivai, plus connu sous le nom d'Allan Kardec, nom que ce dernier prétend avoir porté dans une vie antérieure, alors qu'il était druide (c'est du moins ce qu'il prétend). Considéré comme le fondateur du spiritisme moderne, Kardec écrit dans son Livre des Esprits (publié en 1857) qu'après la mort, les âmes des défunts transitent par la planète Mars avant de s'envoler pour Jupiter, destination post-mortem fort prisée des esprits enclins au bien et à la justice. Ce n'est donc pas pour rien si cette grosse planète est à l'origine du terme "jovial", employé pour qualifier une personne de caractère enjoué.
Quelques voix discordantes s'élèvent toutefois dès 1877 au milieu de cette folie collective, comme celle de l'anglais Nathaniel Everett Green. A la fois peintre et astronome, il réalise depuis l'île de Madère une série de dessins de la planète Mars, lors de son opposition. Rien de folichon me direz vous, si ce n'est que son oeil exercé ne relève la présence d'aucune structure pouvant faire penser à des canaux, ce qui lui vaut quelques critiques acerbes de la part des "canalistes", qui le qualifient d'observateur médiocre. Aussi cet empêcheur de tourner en rond n'empêchera-t-il pas grand chose, et ce d'autant moins qu'un autre personnage - convaincu, lui, de l'existence des canaux et des martiens - allait faire son entrée en scène : le riche astronome amateur Percival Lowell.
Issu d'une importante famille de Boston et détenteur d'un diplôme de mathématiques décroché en 1876 à Harvard, ce dernier va rapidement faire fortune dans l'entreprise de textile de son grand-père, avant d'effectuer plusieurs voyages qui le conduiront successivement au Japon et en Corée. Outre ses pérégrinations en Extrême-Orient, deux événements vont pour ainsi dire bouleverser le cours de son existence : une rencontre, en 1890, avec l'astronome William Pickering, et la lecture de l'ouvrage "La planète Mars" de notre bon vieux Camille Flammarion. Subitement pris de passion pour l'astronomie, il n'a dès lors plus qu'une idée en tête : se faire construire un observatoire dans le seul but d'étudier la planète rouge. A la recherche du site idéal, il jette son dévolu sur un modeste sommet de 2200 m d'altitude - qu'il baptise "Mars Hill" - près de la ville de Flagstaff, en Arizona.
Convaincu que Mars est habitée, il suppose que les canaux - il en dénombre plus
de 400 - ont été construits par les martiens afin de lutter contre la désertification de leur planète.
Le rôle de ces ouvrages titanesques est, selon lui, d'acheminer l'eau issue de la fonte des calottes
polaires jusqu'aux régions équatoriales afin d'irriguer les cultures. Remarquant que
certains canaux semblent se dédoubler, Lowell explique que les martiens, prévoyants, les ont
construits par paires au cas où l'un d'eux viendrait à se boucher. Quant aux petites taches visibles
aux intersections des canaux (dessin ci-dessous), ce sont des lacs ou des oasis !
Toutes ces constatations font d'ailleurs dire à Lowell que certainement, sur Mars, un
gouvernement unique contrôle les activités économiques de toute la planète, le manque d'eau
impliquant que dans l'économie mondiale martienne, seuls les plus aptes ont survécu. Il
consacrera au total trois ouvrages à la planète rouge : Mars (en 1895), Mars et ses
Canaux (en 1906) et enfin Mars, la demeure de la Vie (en 1908).
Toutefois, bien qu'obtenant un franc succès auprès du grand public, toujours avide de
sensationnel, ses théories peinent à s'imposer dans les milieux scientifiques. L'astronome
Edward Barnard, à qui l'on doit la découverte de huit comètes et qui utilise alors
les plus grands instruments de l'époque (lunettes de Lick (91 cm) et de
Yerkes
Dotée d'une lentille de 102 cm de diamètre, la lunette de l'observatoire de Yerkes, propriété de
l'université de Chicago, est la plus grande lunette astronomique jamais construite (en 1897), exception faite
d'une lunette de 1m25 de diamètre, fabriquée pour l'exposition universelle de 1900 à Paris, mais qui ne fut
jamais utilisée tant la qualité de ses optiques était médiocre.
(102 cm)), affirme n'avoir jamais observé le moindre canal à la surface de Mars. Quant à Edward Maunder
(astronome lui aussi), il demande à un groupe d'élèves de l'Ecole de l'hôpital de Greenwich d'essayer
de reproduire des dessins de la planète Mars ne comportant que quelques taches, placés à plusieurs
mètres de distance : sur certaines esquisses, notamment celles réalisées par les élèves les plus
éloignés, figurent des lignes ressemblant aux canaux martiens (l'un d'entre eux a même été dessiné
en double !). Il en conclut que les soit-disant canaux peuvent très bien résulter de simples effets
d'optique.
Tout cela va inciter Lowell, dès 1905, à élargir son champ d'action : il décide de se mettre en quête d'une éventuelle neuvième planète du système solaire (baptisée "planète X"), située au-delà de l'orbite de Neptune. Une telle découverte, si elle avait lieu, lui permettrait de faire taire les mauvaises langues, et de donner davantage de crédit à ses observations martiennes. C'est ainsi qu'il va scruter le ciel des années durant, espérant rééditer l'exploit d'Urbain Le Verrier, le découvreur de Neptune. Malheureusement pour lui, il ne verra pas ses recherches aboutir puisque la mort l'emportera (sur Mars ?) en novembre 1916, à l'âge de 61 ans.
Ironie du sort, il s'est avéré par la suite que certains clichés pris par Lowell montraient
l'image de Pluton, mais celle-ci étant plus faible que ce à quoi l'on s'attendait
alors, elle passa tout bonnement inaperçue. L'histoire cependant ne s'arrête pas là : en 1929,
l'observatoire Lowell engage un jeune astronome amateur - Clyde Tombaugh - dont les
croquis de Mars et de Jupiter ont impressionné le nouveau directeur, Vesto Slipher. Sa mission :
trouver la fameuse planète dont l'existence a été prédite par Percival Lowell. Ce sera, d'une
certaine façon, chose faite en février 1930. D'une certaine façon seulement parce que Lowell
s'attendait à trouver une grosse planète, suffisamment massive pour perturber l'orbite d'Uranus,
ce que ne saurait faire la nouvelle venue, avec ses 2300 km de diamètre. Les deux premières lettres
de son nom - Pluton - sont là pour nous rappeler les initiales de celui qui passa une partie de sa
vie à traquer l'insaisissable planète X.
Revenons à la planète rouge et à ses hypothétiques habitants. La littérature bien entendu
n'attendit pas longtemps pour s'emparer d'un tel sujet. Dès 1865, François Henri de Parville écrit
Un habitant de la planète Mars, curieux roman dans lequel est relatée la
découverte d'un aérolithe contenant la momie d'un martien. En 1887, Guy de Maupassant publie une
courte nouvelle intitulée L'homme de Mars, (que vous pouvez lire ici
!),
dans laquelle le narrateur reçoit la visite d'un étrange personnage.
Dans Qu'est-ce qu'ils peuvent bien nous dire ?, nouvelle humouristique
de Tristan Bernard écrite en 1897, des savants captent des signaux lumineux en provenance de Mars.
Ils décident d'envoyer, sur une feuille de papier géante étalée dans les déserts de l'Afrique centrale,
cette simple question :
"Plaît-il ?".
La réponse ne se fait pas attendre :
"Rien."
On étale une nouvelle feuille encore plus grande sur laquelle figurent ces mots :
"Alors pourquoi nous faites vous des signes ?"
Ce à quoi les martiens répliquent:
"Ce n'est pas à vous que nous parlons, c'est à des gens de la planète Vénus".
Beaucoup plus connu mais nettement moins drôle, le roman La guerre des mondes
d'Herbert George Wells, publié en 1898, est en grande partie basé sur les idées de Lowell. L'auteur
y décrit la lutte désespérée de l'humanité face aux envahisseurs extraterrestres, créatures
monstrueuses bien déterminées à s'emparer de notre planète, la leur - Mars - étant à l'agonie.
Quarante ans plus tard, c'est au tour de l'artiste (acteur, réalisateur, scénariste...) Orson Welles
de provoquer un vent de panique en Amérique : le soir du 30 octobre 1938, il profite de son passage sur CBS
(toute jeune radio, créée en 1927) pour faire croire à ses auditeurs qu'une invasion de Martiens est en cours.
En réalité, la panique en question est toute relative, puisque le taux d'audience ne dépasse alors guère les
2%, mais cela permet à la presse écrite de dénigrer son concurrent, suggérant que le nouveau média (la radio)
n'est pas fiable et qu'il vaut mieux continuer d'acheter son journal si l'on veut être bien informé.
Tout le monde connait Tarzan, "homme-singe" qui parle aux animaux de la jungle et vole de
liane en liane pour épater la belle Jane. Quel rapport avec notre sujet me direz-vous ? Eh bien son
créateur, Edgar Rice Burroughs, est également l'auteur d'une série de romans, le Cycle
de Mars, dont l'action se déroule, je vous le donne en mille... sur la planète Mars
(appelée Barsoom pour l'occasion). Dans le premier tome de cette saga, A Princess of Mars,
paru en 1912, Burroughs décrit une planète à l'herbe rouge où le principal protagoniste, John Carter,
évolue parmi une ribambelle de créatures dont certaines ont la peau verte. Il faut peut-être voir
dans cette histoire l'origine du mythe des "petits" hommes verts...
Quittons le monde des lettres et revenons à des choses plus mars à mars (pardon, je voulais dire terre à terre...). Les instruments d'observation se montrant de plus en plus performants, il fallait s'attendre à ce que, tôt ou tard, la question des canaux soit définitivement tranchée. C'est un astronome grec naturalisé français, Eugène Michel Antoniadi, qui allait donner le coup de grâce à ce mythe tenace.
Né en 1870 à Constantinople (qui ne devient Istanbul qu'en 1930), Eugène Antoniadi étudie l'architecture (pas en 1870, un peu plus tard), avant de se passionner pour l'astronomie (c'est donc un type bien). Réalisant des croquis de grande qualité, il est vite remarqué par Flammarion qui l'invite dès 1896 à travailler avec lui à l'observatoire de Juvisy. En 1898, Eugène publie un mémoire sur la planète Mars, dans lequel il ose faire part de ses doutes quant à l'existence des canaux, ce qui ne plaît guère à Flammarion. Se brouillant avec ce dernier, il quitte la France pour l'Angleterre, avant de s'installer en Turquie où il passera quelques années.
Photographe à ses heures, il obtient en 1904 l'autorisation de réaliser des clichés de
l'intérieur de la basilique Sainte Sophie, transformée en mosquée depuis le XVe
siècle. De retour en France en 1909, c'est à l'observatoire de Meudon qu'il va travailler dorénavant,
disposant ainsi d'une grande lunette de 83 cm d'ouverture (celle de Juvisy ne fait que 24 cm). Cela
lui permet, lors de l'opposition de Mars de 1909, de confirmer ce qu'il pensait, à savoir que les
canaux sont le résultat d'illusions d'optique, dues en partie à des alignements - bien réels - de
petites taches, mais également à de la fatigue oculaire ainsi qu'à des facteurs purement
psychologiques incitant parfois à voir ce que l'on a envie de voir. Cette même année 1909, l'astronome
amateur Aymar Eugène de la Baume Pluvinel (c'est un comte) arrive à une conclusion similaire
en observant Mars depuis le Pic du Midi de Bigorre, dans les Pyrénées. Dès lors, la majorité
des astronomes basculera dans le camp des sceptiques.
Bien que le mythe ait pris du plomb dans l'aile, la croyance en l'existence des canaux martiens est encore bien ancrée dans le grand public, notamment aux Etats-Unis, où les cartes de la planète Mars établies par Lowell restent la référence. Il faut attendre 1965, année au cours de laquelle la sonde Mariner 4 effectue le tout premier survol de Mars, révélant ainsi sa véritable physionomie, pour avoir la preuve définitive de l'inexistence d'une quelconque structure artificielle. Quoique... En 1976, c'est au tour de l'orbiteur Viking 1 de nous envoyer une série d'images (au total plusieurs milliers) de la petite planète, et là, une surprise de taille nous attendait !
Sur le cliché 35A72 (soixante-douzième cliché pris lors de la trente-cinquième orbite) datant du 25 juillet 1976, apparait ce qui ressemble à s'y méprendre à un visage humain. Qui plus est, cet étrange motif, situé sur le relief de Cydonia Mensae, se trouve à proximité d'une structure à forme pyramidale : il n'en fallu pas davantage pour relancer le débat. Depuis, bien entendu, d'autres images de cette zone ont été prises, notamment par Mars Global Surveyor en 2001, et ce avec une résolution bien supérieure à celles fournies par Viking 1.
Ces images ne laissent malheureusement guère de place au doute : le soit-disant visage
n'est en fait qu'une petite colline ayant subi les assauts du temps, érosion oblige (même sur Mars).
Malgré cela, nombre d'hurluberlus n'en démordent pas et continuent de s'accrocher à leurs chimères,
révélant par ci par là de menus détails - des anomalies comme ils disent - censés prouver que dans
un passé peut-être pas si lointain, Mars aurait été le foyer d'une brillante civilisation. Ces
bâtiments, ces dômes, ces monolithes, ces pyramides (et j'en passe), ne les verront que ceux qui
veulent bien les voir, mais après tout, quel mal y a-t-il à celà ? Le rêve ne vaut-il pas mieux,
parfois, que la réalité ? Une chose est sure : s'il était encore parmi nous, Percival Lowell
serait certainement de la partie...
Sources
Fontenelle (Bernard le Bouyer de) : Entretiens sur la pluralité
des mondes
Luca (Patrick de), géologue à la faculté des Sciences de Tours : Les
canaux de Mars
http://academie-de-touraine.com/Tome_26_files/19DE-LUCA-canauxdemars.pdf
Olivier (Stéphane) : Histoire des martiens dans la littérature
française, mémoire de master 2
https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00650804/document
Rothen (François) : Chasseurs de planètes, Ed. Focus
www.nirgal.net, site entièrement dédié à la planète Mars
www.cosmovisions.com, encyclopédie en ligne
Wikipedia
Quelques martiens de passage
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