L'arsenic fait partie du 15ème groupe (15ème colonne) de la classification périodique,
appelé parfois groupe des pnictogènes (du grec "pnigein" signifiant "asphyxier"), auquel appartiennent
également l'azote, le phosphore, l'antimoine et le bismuth. Il possède 33
isotopesOn appelle isotopes des atomes ayant le même nombre de protons, mais qui
différent par leur nombre de neutrons.
connus, mais un seul d'entre eux est stable, l'arsenic 75 (75As).
Peu abondant dans la croûte terrestre (sans être rare pour autant), son clarke, autrement dit sa teneur
massique moyenne, est de 1,5 ppm (partie par million), soit 1,5 g/tonne.
L'arsenic est essentiellement produit par capture de neutrons, lors de l'explosion d'étoiles massives, selon un mécanisme appelé processus r, la lettre r signifiant qu'il s'agit d'un processus de capture rapide, nécessitant un flux de neutrons très élevé.
L'arsenic (et ses composés) est connu depuis fort longtemps. Il tire son nom du perse "zarnikh", servant à désigner le trisulfure d'arsenic (As2S3), responsable de la couleur jaune de l'orpiment, minéral utilisé comme pigment en peinture.
En grec, zarnikh se changera en "arsenikos", terme signifiant "qui dompte le mâle", tant les propriétés de l'arsenic
(notamment sa toxicité) sont marquées. Dans l'Antiquité, les composés de l'arsenic sont utilisés en métallurgie
(ils permettent de durcir les métaux), en art (comme pigments), ainsi qu'en médecine, sous forme
d'orpiment (As2S3) et de réalgar (As4S4). Hippocrate
l'emploie déjà quatre siècles avant notre ère pour traîter les ulcères cutanés, la syphilis et le paludisme, tandis que
la médecine chinoise en fait usage pour soigner l'anémie et la tuberculose. Bien entendu, il est également connu (et
utilisé) en tant que poison. C'est ainsi que l'empereur Claude en fait les frais, empoisonné en l'an 54 par son épouse
Agrippine la Jeune, mère du futur empereur Néron.
Au VIIIème siècle, l'alchimiste arabe Geber (Jabir ibn Hayyan) parvient à isoler le trioxyde
d'arsenic (As2O3), qui se présente sous forme d'une poudre blanche (d'où son surnom
d'arsenic blanc), parfaitement insipide et inodore. Autrement dit, le poison idéal...
En 1250, Albert le Grand, frère dominicain enseignant à Paris (où il aura pour élève saint Thomas d'Aquin),
fait chauffer de l'arsenic blanc (trioxyde d'arsenic), dans de l'huile d'olive et obtient un précipité gris
métallisé : sans le savoir il venait d'isoler, pour la première fois, l'élément arsenic.
Sous Louis XIV, suite à la fameuse affaire des poisons, l'arsenic blanc est surnommé "poudre de succession" car ce
poison permet, à ce que l'on dit, d'obtenir son héritage plus rapidement que prévu.
En 1778, le chimiste suédois Carl Wihelm Scheele met au point un pigment vert à partir d'arsenic, de cuivre et de potassium. Le "vert de Scheele", puisque tel est son nom, sera remplacé en 1814 par une version plus concentrée, le "vert de Schweinfurt" (du nom de la ville où il fut inventé), appelé encore "vert émeraude" ou "vert de Paris", fruit de la combinaison d’acétate de cuivre avec du trioxyde d’arsenic (ce qui donne de l'acéto-arsénite de cuivre). Toujours est-il que cette couleur connaît un grand succès, notamment dans l'Angleterre victorienne, et trouve un tas d'applications : peinture, papiers peints, robes, châles, gants, jouets pour enfants, mais également... mort-aux-rats, ce qui aurait dû, semble-t-il, inciter à la prudence. Eh bien non ! Certains confiseurs, sans doute mal informés, iront même jusqu'à teinter leurs bonbons (oui, vous avez bien lu !) avec cette substance, ce qui pouvait provoquer un tas de désagréments tels que des nausées et/ou de violentes diarrhées, voire pire selon la dose ingérée !
Les papiers peints au vert de Paris, populaires au XIXè siècle, présentent un réel danger lorsque l'atmosphère est humide. En effet, certaines moisissures transforment l'arsenite en triméthylarsine, substance très volatile, qui provoque nausées, sensations de faiblesse et étourdissements aux malheureux qui passent trop de temps en sa présence. Quant aux serre-têtes ornés de feuillages, très en vogue à cette époque, ils ne sont pas moins malsains : non seulement certains d'entre eux peuvent contenir assez d'arsenic pour tuer une vingtaine de personnes, mais les malheureuses ouvrières chargées de leur confection doivent manipuler et respirer de la poudre de vert arsenical à longueur de journée, avec les conséquences que l'on imagine...
Malgré tous ces inconvénients, l'arsenic continuera d'être utilisé comme médicament jusqu'à notre époque, ce que
nous allons voir au travers de quelques exemples.
- Au XVIIème siècle, le médecin Pierre Alliot, né à Bar-le-Duc en 1610, l'intègre dans des
remèdes de sa composition, notamment pour soigner le cancer du sein. Atteinte de cette affection, Anne d’Autriche,
épouse de Louis XIII, va faire appel à ses services en 1665, mais elle décèdera moins d'un an plus tard.
- En 1786, le pharmacien et médecin anglais Thomas Fowler élabore un médicament à base d'arsénite de potassium
(KAsO2), la "liqueur de Fowler", qui sera utilisée comme tonique pendant près de 150 ans.
- Au début du XXème siècle (vers 1910), l'allemand Paul Ehrlich met au point l'arsphénamine,
médicament à base d'arsenic commercialisé sous le nom de "Salvarsan". Utilisé avec succès contre la syphilis
(avant que la pénicilline ne le remplace) et dans le traitement de certains cancers, ce produit vaut à
Paul Ehrlich d'être considéré comme le père de la chimiothérapie moderne.
Et de nos jours, qu'en est-il ? Eh bien dans les années 1990, des médecins chinois de l'hôpital de Harbin (en
Mandchourie) constatent que le trioxyde d’arsenic (As2O3) s'avère efficace dans le traitement
de certaines leucémies aigües (dites promyélocytaires). Hélas, une compagnie américaine, Genta, créée ex
nihilo pour l'occasion, s'emparera de cette découverte en déposant (en 1998) un brevet sur l'usage clinique du
trioxyde d'arsenic soluble, ce que n'avaient pas pensé à faire les chercheurs chinois. Genta sera par la suite rachetée
par Cell Therapeutics, puis en 2005 par Cephalon, filiale de la société israélienne Teva Pharmaceutical Industries,
qui vendra ce produit à prix d'or (50 000 dollars la cure complète), au mépris des malades les moins fortunés qui
ne pourront dès lors plus y avoir accès.
Toujours dans le domaine médical, le trioxyde d’arsenic permettrait de soigner certaines maladies auto-immunes,
en particulier le lupus érythémateux, qui survient lorsque le système immunitaire cherche à lutter contre
les cellules de son propre organisme, ce qui peut affecter différents organes : peau, articulations, reins, coeur...
Evidemment, tout cela ne doit pas nous faire oublier que l'arsenic reste avant tout un dangereux poison. C'est ainsi que pratiquement 19 siècles après l'assassinat perpétré par Agrippine la Jeune, un feuilleton judiciaire va défrayer la chronique dans notre pays : l'affaire Marie Besnard. Le 21 juillet 1949, cette habitante de Loudun est inculpée pour le meurtre douze personnes (son mari, sa mère, son père, et une dizaine de proches), qui seraient toutes mortes par empoisonnement à l'arsenic. Cette histoire sordide fera d'ailleur fait l'objet d'un film diffusé en 1986, "L'Affaire Marie Besnard", où la non moins célèbre Alice Sapritch tiendra le rôle de l'accusée. Toutefois, faute de preuves, Marie Besnard (qui niera tout en bloc) se verra finalement acquittée en décembre 1961, après neuf années d'un interminable procès. En 1962, elle publiera ses mémoires, et s'éteindra à Loudun le 14 février 1980, à l'âge respectable de quatre-vingt-trois ans, emportant avec elle son terrible secret dans la tombe.
Le corps simple arsenic se présente le plus souvent sous la forme d'un solide cristallin argenté, mais il existe en réalité sous trois formes allotropiques (c'est-à-dire cristallines) différentes : l'arsenic jaune (As4), à ne pas confondre avec l'orpiment, l'arsenic noir et l'arsenic gris (le plus stable à température ambiante). On le trouve parfois à l'état natif (donc pur), mais il est généralement associé à d'autres éléments (soufre, fer, nickel, cobalt, antimoine, or, argent). Dans la nature, il existe sous forme organique (lié à des molécules contenant du carbone) ainsi que sous trois formes inorganiques distinctes : arsenic rouge ou réalgar (As4S4), arsenic jaune ou orpiment (As2S3), et arsenic blanc ou trioxyde d'arsenic (As2O3).
Lorsqu'il est chauffé, l'arsenic commence à se sublimer vers 300°C, et il se sublime totalement à 615°C, soit bien
en dessous de sa température de fusion (817°C). Au-delà de cette température, il ne peut donc se trouver à l'état
liquide que sous de fortes pressions (au moins 36 atmosphères).
Ses propriétés chimiques sont assez proches de celles du phosphore, élément situé juste au dessus de lui dans la même
colonne. Insoluble dans l'eau, il se recouvre dans l'air humide d'une couche de trioxyde de d'arsenic. Dans l'oxygène,
il brûle avec une flamme verdâtre, en donnant des fumées toxiques (trioxyde de d'arsenic). Porté à haute température,
il se volatilise en dégageant une odeur d'ail.
L'arsenic organique (donc combiné à du carbone et à de l'hydrogène) est considéré comme un oligo-élémént : il
intervient dans la stimulation du système immunitaire et dans la régulation de l'expression de certains gènes
notamment ceux reponsables de la croissance des os et des dents). Nos besoins quotidiens (de 0,01 à 0,02 mg/jour)
sont largement couverts par l'alimentation, les principales sources étant le poisson (en particulier le congre et
la roussette)), les crustacés, la volaille, les produits laitiers et les céréales, en particulier le riz (selon
certaines études, il en absorberait dix fois plus que les autres céréales).
En excès, l'arsenic est par contre à l'origine de nombreux désagréments : irritation de l'estomac et de l'intestin, problèmes de peau, irritation des poumons, voire, si l'exposition est importante, des risques de cancers (du poumon, des reins, du foie...), de fausses couches... Le problème se pose dans les pays où l'arsenic est naturellement présent à des concentrations élevées dans les eaux souterraines, comme par exemple au Bangladesh. A dose très importante, il inhibe le fonctionnement des enzymes qui interviennent dans le métabolisme (ensemble des réactions chimiques qui se produisent dans nos cellules), ce qui entraîne... la mort.
Dans la nature, on trouve généralement l'arsenic associé à d'autres éléments dans des arséniosulfures, le
principal étant l’arsénopyrite (FeAsS), ainsi que sous forme de sulfures (orpiment et réalgar). De nos jours,
il est essentiellement coproduit lors de l'extraction d'autres métaux tels que le cuivre, le plomb, le zinc,
le cobalt, ou encore l’or et l’argent.
Les minerais contenant l'arsenic sont tout d'abord grillés, ce qui permet d'obtenir du trioxyde d'arsenic
(As2O3) à l'état gazeux, qui est ensuite dissous dans de l’eau puis précipité sous forme
d’arséniate de calcium Ca3(AsO4)2 ou d’arséniate ferrique Fe(AsO4)
adsorbé sur de l'oxohydroxyde de fer(III) (FeO(OH)), ce qui permet de le stocker sous forme stable, la production
d'arsenic excédant de loin la consommation.
Quant à l'arsenic pur, il est obtenu par réduction du trioxyde d'arsenic à l'aide de dihydrogène, selon la réaction :
As2O3 + H2 ---> 2As + 3H2O
En 2022, près de 61 000 tonnes de trioxyde d'arsenic ont été produites au niveau mondial, les principaux producteurs étant le Pérou (avec 28 000 t) et la Chine (24 000 t).
- De petites quantités d'arsenic et d'antimoine sont ajoutées aux plombs des cartouches de chasse afin de les rendre un peu plus durs.
- Dans de nombreux pays, les bois résineux exposés à l'humidité (poteaux électriques et téléphoniques, traverses de chemin de fer...) sont traités à l'arséniate de cuivre chromé (ACC), pour les protéger contre les champignons et les insectes. La législation française a interdit son usage en raison de sa toxicité.
- Une fine couche de trisélénure d'arsenic recouvre le tambour (cyclindre) des photocopieurs, tambour sur lequel est diffusée une charge électrostatique positive. Dans le noir, ce matériau est isolant, mais il devient conducteur en présence de lumière, ce qui permet d'éliminer la charge électrique. La poudre noire contenue dans le toner, chargée négativement, est attirée uniquement par les régions du tambour où la charge électrique est restée (donc dans les zones d'ombre), avant d'aller se déposer sur les feuilles de papier que l'on souhaite imprimer.
- Les semi-conducteurs à base d'arséniure de gallium (GaAs) ou d'indium (InAs) sont utilisés pour fabriquer des cellules photovoltaïques, des diodes électroluminescentes et des transistors.
- L'arsenic a été employé sous forme de roxarsone (ou acide 3-nitro-4-hydroxyphénylarsonique pour les intimes), comme additif alimentaire pour les porcs et les volailles afin d'accélérer leur croissance et de les protéger contre certaines maladies parasitaires. Son usage a été interdit en 1999 par l'Union Européenne.
- L'arséniate de sodium (Na3AsO4) a été utilisé dans le domaine viticole pour lutter contre l'esca, maladie de la vigne due à des champignons parasites. Elle a été interdite en 2002 par la législation française
- Durant la Première Guerre mondiale, l'armée allemande employait du trihydrure d'arsenic ou arsane
(AsH3), gaz incolore et très toxique. Associé à d'autres gaz tels que l'ypérite (le terrible gaz
moutarde), il parvenait à diffuser à travers les filtres des masques à gaz, provoquant quintes de toux et
vomissements, ce qui obligeait les soldats à retirer leurs masques et à respirer l'ypérite. Bref, encore
une belle invention dont l'humanité peut s'enorgueillir...>
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