Métal de transition relativement peu abondant dans la croûte terrestre (sans être rare non plus), le chrome possède 26 isotopesOn appelle isotopes des atomes ayant le même nombre de protons, mais qui différent par leur nombre de neutrons., parmi lesquels quatre sont stables : le chrome 50 (50Cr), le chrome 52 (52Cr), le chrome 53 (53Cr) et le chrome 54 (54Cr), le plus abondant étant de loin le chrome 52 (près de 84%).
Le chrome est synthétisé dans le coeur des vieilles étoiles massives (au moins huit masses solaires) arrivées au stade de la fusion du silicium, ce qui signifie qu'il ne leur reste que quelques heures à "vivre". La température centrale atteint alors trois à quatre milliards de kelvins, et les photons gammas produits lors des réactions nucléaires sont tellement énergétiques qu'ils parviennent à briser des noyaux complexes : on parle de réactions de photodissociation. C'est ainsi que sous l'action de ces photons, certains noyaux de silicium (formés lors de la fusion de l'oxygène) éjectent des particules alpha (noyaux d'hélium) :
28Si + rayons gamma --> 24Mg + 4He
Ces particules alpha sont ensuite réabsorbées par d'autres noyaux de silicium, induisant une chaîne de réactions produisant successivement du soufre 32, de l'argon 36, du calcium 40, du titane 44, du chrome 48, ainsi que d'autres éléments, selon le mécanisme suivant :
28Si + 4He ---> 32S + rayons gammas
32S + 4He ---> 36Ar + rayons gammas
36Ar + 4He ---> 40Ca + rayons gammas
40Ca + 4He ---> 44Ti + rayons gammas
44Ti + 4He ---> 48Cr + rayons gammas
Toutefois, le chrome 48 étant instable, celui que l'on trouve sur Terre est essentiellement produit lors de l'explosion d'étoiles massives arrivées au terme de leur existence (supernovae de type II), ainsi que lors de l'explosion de naines blanches (supernovae de type Ia) dont la masse, augmentant progressivement en raison d'un apport de matière provenant d'un compagnon, finit par atteindre la limite dite de Chandrasekhar (1,4 masses solaires).
On sait que la Chine a fait usage du chrome depuis l'Antiquité, puisque l'on a retrouvé dans le mausolée de l'empereur Qin Shi Huang (259-210 av J.-C.) des épées en bronze recouvertes de ce métal, ce qui leur a permis de traverser les siècles sans souffrir de la corrosion. En Occident, il faut attendre le début du XVIII siècle avant que son emploi ne commence à se répandre. En 1770, le zoologiste et botaniste allemand Peter Simon Pallas (1741-1811) découvre dans les montagnes de l'Oural un minerai de plomb de couleur rouge, la crocoïte (de formule PbCr2O4), dont sera tiré un pigment jaune (le "jaune de chrome") qui fera rapidement le bonheur des artistes peintres. Le chrome verra d'ailleurs là son principal usage durant le XVIIIè siècle.
En 1798, le chimiste et pharmacien français Louis-Nicolas Vauquelin (1763-1829) parvient à obtenir du chrome métallique en portant à haute température un mélange d'oxyde de chrome (Cr2O3), extrait de la crocoïte, et de carbone. La réaction est la suivante :
2 Cr2O3 + 3 C ---> 4 Cr + 3 CO2
Vers le milieu du XIXè siècle, les tanneries feront grand usage du chrome, car ce dernier permet d'améliorer l'imperméabilité des peaux traitées. Quant au fameux placage au chrome, il apparaît en 1848, mais ne se développe qu'à partir des années 1920, devenant alors rapidement omniprésent : pare-chocs et ailerons de voitures, sorties d'échappement, grille-pain, jouets, parties de meubles, et j'en passe...
Métal présentant un éclat blanc légèrement bleuté, le chrome est un métal extrêmement dur, dont la température de fusion est de 1905°C. A température ambiante, il ne réagit ni avec l'oxygène, ni avec l'eau, ce qui lui confère une excellente résistance à la corrosion. Lorsqu'il est chauffé au rouge (au delà de 800°C), il donne naissance à un oxyde très stable, Cr2O3, de couleur verte.
Le chrome présente plusieurs états d'oxydation, offrant au chimiste une grande diversité de composés présentant une vaste palette de couleurs, ce qui explique son nom, tiré du grec "khrôma" signifiant "couleur". Les états d'oxydation les plus répandus sont II (ou +2), III (chrome trivalent) et VI (chrome hexavalent). Pour rappel, plus le nombre d'oxydation est élévé, plus l'élément concerné (ici le chrome) est oxydé (une oxydation correspond à une "perte" d'électrons).
Considéré comme un oligo-élément, le chrome trivalent (de loin le plus stable) intervient dans le métabolisme des glucides et des lipides, encore que l'on ne comprenne pas vraiment son mode d'action. Quant au chrome hexavalent, particulièrment nocif, il peut provoquer des dommages au foie et aux reins, des éruptions cutanées, des ulcères d'estomac, des problèmes respiratoires, voire des cancers du poumons. Ce sujet constitue d'ailleurs le thème central du film culte Erin Brockovich, seule contre tous, où il est justement question d'eau polluée par des rejets toxiques contenant du chrome hexavalent. A voir absolument, surtout si vous êtes fan de Julia Roberts, particulièrement convaincante dans ce rôle de redresseuse de torts.
La chromite, de formule FeCr2O4 (ou FeO.Cr2O3), est le principal minerai dont on extrait le chrome.
Les plus grandes réserves au monde se trouvent en Afrique du Sud, plus précisément dans le gigantesque Complexe du Bushveld, avec plus de trois milliards de tonnes de minerais. En 2019, la production mondiale de chromite était de 34 millions de tonnes, dont 20 millions de tonnes assurées par la seule Afrique du Sud. Ce n'est d'ailleurs pas le chrome qui fait l'objet d'une telle exploitation, mais les "platinoïdes" (famille de métaux à laquelle appartiennent le platine, le paladium, le rhodium, le ruthénium, l'iridium et l'osmium), le chrome n'étant qu'un co-produit de cette exploitation.
Viennent ensuite le Kazakhstan (avec 4800 tonnes de chromite en 2019), l'Inde, la Finlande et la Turquie. Pour une fois, la Chine est totalement absente de ce classement.
La majeure partie de la chromite est transformée en ferrochromes (FeCr) plus ou moins purs, contenant de 50 à 70 % de chrome (en masse). Ils s'obtiennent en portant à température élevée un mélange de chromite et de carbone, selon le mécanisme suivant :
FeO.Cr2O3 + 4 C ---> 2 Cr + Fe + 4 CO
Depuis 2012, la Chine (la revoilà !) est devenue le premier producteur mondial de ferrochromes, l'Afrique du Sud ayant des problèmes chroniques d'approvisionnement en électricité, ce qui limite fortement sa production.
Quant au chrome métal, son obtention à partir de la chromite s'effectue en plusieurs étapes.
Généralement, la toute première consiste à porter à haute température un mélange de chromite et de carbonate
de potassium (K2CO3), ce qui permet de se débarrasser de l'oxyde de fer et d'obtenir du
chromate de potassium (K2CrO3).
Ce dernier, après avoir été isolé, est ensuite porté à haute température en présence de carbone, afin d'obtenir
de l'oxyde de chrome :
4 K2CrO3 + 2 C ---> K2CO3 + 2 Cr2O3 + K2O + 2 CO
Une fois purifié, l'oxyde de chrome est mélangé à de la poudre d'aluminium, le chrome métal étant obtenu par aluminothermie :
Cr2O3 + 2 Al ---> 2 Cr + Al2O3
En 2017, la production mondiale de chrome métal s'élevait à 57 000 tonnes, les principaux fournisseurs étant la Russie, la Chine et la France (avec 12 000 tonnes, produites à Marly-lez-Valenciennes).
Environ de 90 % de la chromite est transformée en ferrochrome, qui sert à son tour (à près de 80 %) à
fabriquer des aciers inoxydables.
La résistance à la corrosion de ces aciers (appelés inox) est due à l'ajout de chrome (au moins 10,5 %),
qui forme en surface une couche d'oxyde de chrome (Cr2O3) résistant à l'action combinée
de l'eau et de l'oxygène, empêchant ainsi l'acier de rouiller.
- Les aciers au chrome (qui en contiennent de 12 à 27 %) sont fréquemment utilisés pour les instruments chirurgicaux et les ustensiles de cuisine de qualité standard (collectivités). La flèche du célèbre Chrysler Building (New York) est plaquée d'un acier inoxydable appelé Nirosta, qui contient 10,5 % de chrome.
- Les aciers au chrome-nickel, bien que plus coûteux, représentent un peu plus de 50 % de la production mondiale d'aciers. La présence de nickel améliore en effet les performances mécaniques de l'acier, qui supporte alors mieux les déformations. On retrouve généralement ce type d'alliage dans les couverts de table de qualité (acier 18-10, contenant 18 % de chrome et 10 % de nickel), dans certains blindages (coffres-forts, chars d'assaut)... Dans les aciers au chrome-manganèse, le manganèse remplace en partie le nickel afin de limiter les coûts de fabrication.
- Le chrome intervient également dans la composition de certains superalliagesUn superalliage est un alliage présentant une très grande résistance aux contraintes mécaniques à haute température et haute pression, ainsi qu'une bonne résistance à la corrosion. Ils sont le plus souvent constitués de fer, de nickel et de cobalt., en particulier ceux entrant dans la composition d'outils permettant d'usiner l'acier.
Le chromage consiste à recouvrir une pièce en métal (ou même en plastique) d'une fine couche de
chrome. On distingue habituellement deux type de chromage :
- le chromage décoratif, d'une épaisseur de l'ordre de 0,5 micron, confère un aspect brillant aux
machins qu'il recouvre (pare-choc, grille-pain, poignée de porte, etc...),
- le chromage dur, dont l'épaisseur peut atteindre quelques dixièmes de millimètres, est utilisé comme
revêtement anti-usure, notamment dans les systèmes où il y des frottements (chemises de piston, pièces de
réacteurs, arbres de transmission de machines-outils...).
- Le carbure de chrome (Cr3C2) peut être employé pour améliorer les performances des outils de coupe (fraises, forets, alésoirs...). Il intervient alors en tant qu'additif dans d'autres carbures (comme le carbure de tungstène) afin d'en augmenter la dureté.
- Le dioxyde de chrome (CrO2) est un matériau solide magnétique (de synthèse), ce qui lui vaut d'être utilisé pour stocker des données sur bandes magnétiques.
- Le chrome adopte, sous forme de chromates ou d'oxydes, toute une palette de couleurs. Bien que toxique, le jaune de chrome (chromate de plomb) est un pigment très apprécié en peinture.
Certains oxydes de chromes (comme Cr2O3) permettent de donner une couleur verte au verre ou aux céramiques.
- Le dichromate de potassium (K2Cr2O7), solide de couleur orangée, est utilisé (entre autres) dans les éthylotests (alcootests) chimiques. Pour faire simple, en présence d'éthanol, les ions chrome VI contenus dans le dichromate de potassium se transforment en ions chrome III, de couleur verte, ce qui permet de confondre les contrevenants. Pour la petite histoire, le record du monde d'alcoolémie est détenu depuis le 24 juillet 2013 par un Polonais, qui a été retrouvé totalement ivre dans un fossé en bord de route, avec un taux d'alcoolémie de 13,7 g par litre de sang ! Il était donc, d'un point de vue médical, théoriquement mort.
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